Le triomphe du méta-greenwashing

De nombreuses campagnes publicitaires valorisent l’engagement de l’annonceur tout en respectant les règles déontologiques. Et pourtant, elles sont accusées de greenwashing à juste titre. C’est le cas de la récente pub Mercedes qui assimile son logo avec une éolienne ou de celle d’Amazon qui met en avant le recyclage des cartons d’emballage. Ces allégations trompent le public par omission. L’annonceur choisit de braquer le projecteur sur certaines actions réelles et effectives, certes, mais il adopte un ton triomphaliste et laisse délibérément dans l’ombre d’autres enjeux bien plus impactants et complexes. J’appelle cela du métagreenwashing.

 

Le greenwashing

 

Le greenwashing est généralement défini comme « tout message publicitaire pouvant induire le public en erreur sur la qualité écologique réelle d’un produit ou d’un service ou sur la réalité de la démarche développement durable d’une organisation. » (guide ADEME de la com responsable, p.81).

 

En France, le cadre déontologique précise que les professionnels doivent « présenter avec précision les actions significatives de l’annonceur ou les propriétés de ses produits ou services en matière de développement durable. » Il convient de respecter un certain nombre de règles précises relatives aux impacts éco-citoyens, à la véracité des actions, à la proportionnalité des messages, etc. (Recommandation DD de l’ARPP)

 

Ainsi, les allégations comme « Le sucre est une plante », « La 5G plus écologique », « Un thé pour protéger les tigres sauvages », « Choisissez des transports moins serrés » ou « Une bouteille de gaz achetée = un geste pour la planète » ont été jugées non conformes par le Jury de déontologie publicitaire. Dans ce cas, il n’y a pas d’ambiguïté : non-conformité aux règles déontologiques = greenwashing.

 

Greenwashing or not ?

 

Depuis plusieurs mois, de nombreux annonceurs prennent la parole pour valoriser leurs engagements en faveur d’un développement plus soutenable : optimisation des process pour réduire les consommations énergétiques et les pollutions, sourcing plus responsable de certaines matières premières, modification de la composition des produits, intégration de matières recyclées dans les emballages, amélioration des conditions de vie des salarié·e·s, meilleure rémunération des fournisseurs, lutte contre les discriminations et l’égalité femme-homme, etc.

 

Il n’y a pas de doute sur le fait que les actions présentées ont effectivement été mises en place et que des résultats intéressants ont été obtenus. Et en général les arguments publicitaires sont proportionnés et assortis de preuves convaincantes. Autrement dit, les publicités respectent les règles déontologiques.

 

Mais ces publicités induisent tout de même le public en erreur et peuvent être qualifiées de greenwashing. C’est le cas de cette campagne Mercedes que j’ai signalée au Jury de Déontologie publicitaire.

 

Une éolienne comme logo de la marque Mercedes

 

La publicité célèbre la force du vent, considérée jusqu’alors comme un « ennemi » parce qu’allant à l’encontre de la pénétration du véhicule dans l’air. Un rideau se gonfle, les feuilles s’envolent, des combinaisons de funboard sèchent au vent… Puis le vent forcit.

 

Le film présente ensuite une éolienne en gros plan. L’inscription suivante apparait à l’écran : « D’ici à 2022, toutes les usines du groupe Mercedes-Benz seront alimentées uniquement en énergies renouvelables. ». Dans la séquence finale, les pales de l’éolienne se transforment en logo de la marque, une étoile à trois pointes.

Le projet d’alimenter en énergie renouvelable les usines du groupe est louable mais il n’est pas encore réalisé et il ne concerne pas les véhicules de la marque, dont l’extraction des matières premières nécessaires à leur fabrication, leur usage et leur fin de vie génèrent de très nombreux impacts environnementaux.

 

Selon moi, l’assimilation du logo de la marque à une éolienne, un des symboles des énergies renouvelables et du développement durable, induit en erreur le consommateur et contrevient aux points 8 (présentation visuelle) et 5 (loyauté) de la recommandation DD.

 

J’ai signalé cette publicité au JDP le 9 avril. Dans un courrier daté du 29 avril, le Président m’informe que ma plainte est jugée infondée parce que « cette publicité n’est pas de nature à induire en erreur le consommateur sur la réalité des actions menées par l’annonceur et des produits qu’il commercialise et ne contrevient donc pas aux principes de la Recommandation » :

 

  • « En premier lieu, il ressort clairement de la publicité que Mercedes s’engage à faire fonctionner ses usines de production avec des énergies renouvelables à compter de 2022 et non à produire des véhicules qui fonctionneraient eux-mêmes à l’aide d’énergies renouvelables. »
  • « En second lieu, le texte de la publicité indique clairement qu’il s’agit d’un objectif pour 2022 et non d’une réalité actuelle. »
  • « En troisième lieu, l’effet visuel consistant à transformer en logo Mercedes les pales d’une éolienne, fait directement référence à l’engagement précédemment mentionné. Aucun élément de la publicité n’accréditerait l’idée que la fabrication et l’utilisation de produits Mercedes ne feraient appel qu’à l’énergie éolienne. »

 

Le métagreenwashing

 

De telles campagnes suscitent à juste titre de nombreuses réactions négatives sur les réseaux sociaux. Elles sont mal perçues par les experts du domaine et plus généralement par les publics avertis. Les actions publicisées portent sur des enjeux qui ne sont pas prioritaires ou sur lesquels il est « facile » d’agir et l’annonceur passe sous silence d’autres impacts environnementaux ou sociaux bien plus significatifs.

 

Exemples :

 

 

Ces pratiques publicitaires respectent donc les règles déontologiques mais je maintiens qu’elles induisent le public en erreur. J’utilise alors le terme de métagreenwashing pour les qualifier. Le préfixe méta est chargé « du sens d’au-delà de, avec des nuances de préalable, d’antériorité logique, d’importance primordiale. » (Vie des mots)

 

Ces allégations trompent le public par omission. L’annonceur choisit de braquer le projecteur sur certaines actions réelles et effectives, certes, mais il adopte un ton triomphaliste et il laisse délibérément dans l’ombre d’autres enjeux bien plus impactants et complexes, souvent liés à son cœur de business, qui ne pourront être adressés qu’à travers une bascule réelle de toute l’organisation dans une démarche de transformation vers un modèle plus soutenable.

 

Les règles déontologiques, telles qu’elles sont définies et appliquées aujourd’hui, et plus largement le dispositif d’autorégulation, ne permettent pas d’interpeller les annonceurs et leurs agences et de les inciter à changer leurs pratiques.

 

Flawsome

 

Bien sûr, une entreprise ne peut pas se transformer du jour au lendemain et il faut bien commencer par quelque chose, en particulier des actions avec lesquelles des résultats tangibles seront rapidement obtenus pour montrer que c’est possible et dynamiser les forces vives.

 

Oui, il est primordial de faire connaître les résultats obtenus et de valoriser les personnes qui se sont engagées pour les obtenir.

 

Évidemment, il ne s’agit pas de se tirer une balle dans le pied en pointant du doigt tout ce qui n’a pas été fait.

 

Oui à la communication et à la publicité donc, mais avec une posture plus modeste, dans une approche globale de communication plus responsable !

 

« Mettre en avant ses failles aussi bien que ses réussites, c’est une des bases de la communication responsable, qui vise à donner de l’entreprise une image qui se rapproche plus de la réalité », écrivait Yonnel Poivre-Le Lohé sur son blog en… 2012 ! dans un article qui commentait la tendance du « flawsome ».

 

Les organisations qui s’engagent sur cette voie sont encore trop peu nombreuses. J’en présenterai quelques-unes dans un autre article.

 


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