Claire Lataste: La diversité, source de performance et de cohésion pour les entreprises

Déployer une politique handicap ambitieuse mobilise des ressorts et des valeurs personnelles qui sont souvent de puissants leviers de motivation pour les collaborateurs. Cela donne du sens et de la valeur à l’engagement dans l’entreprise. Mais attention aux erreurs de communication qui peuvent générer frustration et incompréhension, prévient Claire Lataste, qui accompagne depuis de nombreuses années les entreprises dans la mise en place et le déploiement de leur politique handicap.

Bonjour Claire Lataste et bienvenue sur le site Sircome.fr. Vous êtes responsable de Alinéa Expertise au sein d’Alinéa Conseil. Avant d’aborder le cœur de votre métier, pouvez-vous présenter votre formation et votre parcours ?

Avec une formation supérieure en Ressources Humaines mon parcours s’est naturellement orienté vers la fonction RH. J’ai eu la chance de démarrer dans un grand groupe où j’ai appris le métier de DRH en occupant des postes très diversifiés dans des environnements extrêmement variés : recrutement, relations sociales, formation, développement RH, responsable ressources humaines sur des chantiers de construction en France et à l’international.

J’y ai appris le métier de DRH, ses enjeux politiques et sociaux, ses codes. C’est au cours de ce parcours que j’ai eu l’occasion de m’intéresser au handicap. A un moment où beaucoup d’entreprises abordaient la diversité sous l’angle exclusif égalité hommes-femmes, j’ai proposé de structurer une politique RH différenciante autour du handicap. Sujet dont on n’avait jamais parlé dans l’entreprise jusque-là et qui était très loin de la culture de l’entreprise et des préoccupations des collaborateurs !

Cette expérience a été tellement enrichissante sur les plans professionnels et personnels que j’ai choisi de m’y consacrer à 100% non plus pour le compte d’une entreprise mais pour celui de différentes entreprises. C’est à ce moment que j’ai rejoint le Cabinet Alinéa Conseil qui était par ailleurs celui qui avait accompagné mon entreprise dans la mise en place de la politique handicap.

Pourquoi avoir choisi de vous engager sur les problématiques de diversité et en particulier de handicap ?

Travailler dans le domaine du handicap n’est jamais anodin. C’est un virage que j’ai pris dans mon parcours professionnel en ayant le sentiment d’avoir fait tour de la fonction RH sans possibilité de me renouveler véritablement.

Alors, pourquoi le handicap à ce moment ? D’un point de vue personnel, j’ai eu l’envie de m’engager différemment. Recherche de sens, envie de nouvelles rencontres, conviction qu’on peut changer le monde avec des actions microscopiques au quotidien.

D’un point de vue professionnel, déployer une politique handicap mobilise des ressorts et des valeurs personnelles qui sont souvent de puissants leviers de motivation pour les collaborateurs, il donne du sens et de la valeur à l’engagement dans l’entreprise. Susciter cette mobilisation est particulièrement stimulant.

En tant que DRH, j’ai aussi été très surprise de voir à quel point ce sujet décloisonne les organisations plus habituées à des modes de fonctionnement en silot. J’ai fait ce constat en tant que chargée de mission handicap en entreprise mais je le refais depuis, en tant que consultante dans chacune des entreprises pour lesquelles j’interviens : à chaque fois c’est une histoire différente qui s’écrit et permet des collaborations transverses inédites.

Sans angélisme ni misérabilisme, j’ai découvert aussi en tant que chargée de mission et praticienne des RH que la prise en compte de la diversité est le plus souvent source de performance, et de cohésion pour les entreprises. On se lance dans cette démarche souvent sans savoir trop ce qu’on va y trouver et on se laisse surprendre par les effets qu’elle suscite et les résultats qu’elle produit.

Vous accompagnez les entreprises dans la définition de leur stratégie et le déploiement de leur politique handicap. Quels sont les principaux enjeux ?

Alinéa Conseil, plus de 10 ans d’expérience au service des politiques handicap

Alinéa Conseil accompagne en effet les entreprises dans la gestion de leur politique handicap en tant que projet mais pas uniquement. Nous développons aussi une offre de services élargie avec des prestations comme la mise en place d’actions ou d’événements, le coaching des acteurs ou l’accompagnement individuel des travailleurs handicapés, la réalisation et l’audit des Déclarations Obligatoires d’Emploi des Travailleurs Handicapés (DOETH)… Nous sommes là pour toutes les questions qui se posent aux entreprises sur le thème du handicap.

La diversité de cette offre et les compétences requises pour chacune d’elles nous a conduit à faire du handicap notre spécialité unique. C’est un parti pris d’excellence que nous revendiquons et assumons vis-à-vis de nos clients.

Faire d’une contrainte légale une opportunité de développement RH

Les entreprises sont soumises à un double impératifs : trouver des sources d’économies tous azimuts et développer leur image d’entreprise citoyenne et leur politique RSE.

Ces injonctions combinées aux enjeux liés à l’allongement de durée de vie au travail peuvent paraitre contradictoires mais se rejoignent pourtant parfaitement sur les problématiques de handicap.

C’est d’ailleurs parce que ce sujet est au carrefour de l’économique et du social qu’il résiste si bien en tant que sujet de développement RH à la crise traversée depuis quelques années par les entreprises françaises et que les Directions des Ressources Humaines continuent à en faire un des axes privilégiés de leur politique diversité.

La question aujourd’hui pour celles qui ont acquis une certaine maturité consiste à se renouveler et continuer à innover dans le champ du handicap pour éviter que « le soufflet ne retombe ». Notre rôle en tant que Cabinet est de leur proposer de nouveaux outils, de nouvelles approches en s’appuyant sur la connaissance des pratiques d’autres entreprises.

Et même si le regard porté par la société sur le handicap a sans aucun doute évolué depuis le durcissement de la loi en 2005, la réalité et les idées reçues sont tenaces : avec un taux d’emploi de personnes handicapées qui plafonne à 3% en France, un taux de chômage des personnes handicapées qui reste le double des personnes valides et des avancées suivies de reculades concernant l’accessibilité des lieux publics, beaucoup reste à faire !

Plus spécifiquement, quels sont les enjeux de communication interne ? Quels sont les freins auxquels vous êtes confrontés ?

Il n’est jamais facile de parler de la fragilité, de la déficience et plus largement de la faiblesse dans le cadre de l’entreprise. Ce ne sont pas des valeurs qui entrent naturellement dans le registre de leur communication. Elles revendiquent plus facilement des valeurs de performance, d’efficacité, d’engagement, de productivité jugées peu compatibles avec le handicap. Donc le plus souvent elles n’en parlent pas.

Une fois cet a priori levé, l’enjeu consiste à construire un discours commun et partagé qui permette de légitimer l’engagement de l’entreprise et de lever les questions voire les réticences des différentes parties prenantes. Les questions fondamentales qui se posent reviennent souvent de la même manière quelles que soient les entreprises : pourquoi s’intéresser au handicap ? Quelle est la conviction profonde de l’entreprise sur ce sujet ? Quel bénéfice en attendre ? Comment concilier les impératifs de rentabilité avec une politique handicap ?

Ces questions sont d’autant plus difficiles qu’elles sont posées par des acteurs très diversifiés ayant des prismes et un vécu personnel différents : managers, responsable ressources humaines, médecin du travail, délégués syndicaux, assistante sociale ; infirmière, préventeur…

Le chargé de mission handicap comme principal vecteur de la politique handicap

C’est là que le chargé de mission handicap doit jouer son rôle de chef d’orchestre et proposer par la formation et la sensibilisation des différentes parties prenantes une partition harmonieuse à jouer. À ce stade, toute fausse note ou tout contre exemple dans la communication interne ou la gestion de telle ou telle situation spécifique peuvent avoir des effets délétères sur les intentions de l’entreprise.

J’ai le cas en tête d’une entreprise qui au moment de l’embauche d’un préventeur assez lourdement handicapé avait choisi de largement communiquer sur cet exemple à reproduire dans le reste de l’entreprise. Jusqu’à ce que les compétences de la personne en question soient remises en cause et nécessitent de se séparer d’elle quelques mois après son arrivée. Comment gérer dans sa communication interne ce type de situation ? quel discours avoir ? L’enjeu devient vite à ce stade un enjeu social et sort vite du cadre individuel.

Savoir parler du handicap

La communication interne passe aussi par les outils médias web et print. Parler d’expériences réussies, de l’engagement de l’entreprise, de l’interêt à être reconnu travailleur handicapé, d’événements à venir sur le sujet du handicap, bien sûr mais trouver les mots justes et le ton adapté sans heurter les sensibilités, les convictions et les valeurs de chacun est loin d’être très aisé pour des rédacteurs qui n’ont bien souvent pas d’expérience dans ce type de communication. Là encore un accompagnement peut s’avérer utile.

Et en communication externe ? Pouvez-vous nous parler d’exemples pertinents de communication vers les consommateurs ou client ? quel ton adopter ?

La nécessaire cohérence entre l’image et la réalité

On a de nombreux exemples de sponsoring d’athlète de haut niveau en situation de handicap par de grandes entreprises. Ce type de soutien vise plutôt à créer ou modifier l’image sociale de l’entreprise et à incarner la politique handicap. Il ne s’adresse pas directement au client mais participe d’une image globale positive de l’entreprise voire même de son attractivité pour les jeunes diplômés qu’elle convoite.

Le risque néanmoins en communication externe c’est d’instrumentaliser la politique handicap et de n’en faire qu’un argument marketing qui peut avoir des effets positifs sur l’image employeur de l’entreprise mais peut aller totalement à l’inverse de la réalité vécue par les collaborateurs en interne. Là où la politique handicap peut être source de cohésion et de fierté pour les collaborateurs, elle devient dans ces cas là génératrice de frustration et d’incompréhension.

L’exemple du congé solidaire au service d’une politique handicap

On est plus efficace, pertinent et jugé sincère a priori quand on arrive à faire d’une action ou d’un événement un moment de communication interne ET externe. Le cas du congé solidaire est un bon exemple puisqu’il donne la possibilité à des collaborateurs d’une entreprise de prendre sur leur temps de congé pour mener des actions pour le compte d’associations qui oeuvrent dans le champ du handicap. Les entreprises qui soutiennent ce type d’action ne s’y trompent pas et s’en servent aussi bien pour raconter une belle histoire en interne et en externe sur leur site internet par exemple.

D’une manière plus générale, comment la politique handicap est-elle intégrée à la stratégie RSE des entreprises avec lesquelles vous travaillez ? Avez-vous des exemples d’entreprises qui innovent en la matière ?

La politique handicap rentre rarement d’emblée dans le champ de la RSE. Beaucoup de grandes entreprises abordent le handicap de manière modeste et pragmatique. Elles préfèrent mesurer les premiers résultats avant de se l’approprier complètement et de la revendiquer dans leur stratégie RSE.

Cette manière d’aborder les choses se retrouve au niveau du positionnement des acteurs : au démarrage, la mission handicap est confiée à une personne au sein de la DRH qui prend en charge le sujet en plus de ses attributions (une manière de rassurer les financiers en interne qui pourraient s’étonner des moyens consacrés à un sujet aussi incongru en période de restriction budgétaire !)

Lorsque le sujet se structure et qu’un accord ou une convention avec l’AGEFIPH permet de consacrer quelques moyens humains, la mission handicap devient un poste en soi occupant un chargé de mission à 100 % de son temps. Sa mission, son rôle, son financement sont mieux compris et accepté. Il reste cependant souvent rattaché à la DRH.

Vient ensuite le stade de la maturité où les différentes initiatives prises dans le champ de la diversité (égalité femmes-hommes, sénior, minorités ethniques) produisent des résultats, permettent de raconter de belles histoires et ont un impact sur de nombreux processus de l’entreprise.

La politique handicap ne peut alors plus se suffire à elle-même, elle prend encore plus de sens quand elle s’inscrit dans le champ plus large de la RSE. Beaucoup de DRH font consciemment ou non ce constat et c’est à ce moment qu’on voit généralement le chargé de mission handicap rattaché à la Direction Diversité ou RSE. C’est une manière pour la politique handicap d’acquérir ses lettres de noblesse et d’être reconnue comme un sujet à part entière au même titre que les actions menées par l’entreprise pour minimiser ses impacts sur l’environnement.

C’est donc par les résultats dont elle peut se prévaloir que la politique handicap rejoint naturellement la stratégie RSE. Et c’est bien comme ça.


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