Nous proposons une récompense pour l’acte de tri

Lemon tri est une start-up proposant des solutions innovantes et ludiques pour trier les emballages de boissons. Leur objectif est d’augmenter le taux de recyclage, supprimer les erreurs de tri et récompenser l’utilisateur. Fondé par Emmanuel Bardin et Augustin Jaclin, l’entreprise propose trois types de machines afin de « recycler plus et mieux ». Emmanuel Bardin nous a parlé de leur initiative qu’il présente comme une alternative au discours d’urgence et moralisateur du recyclage.

Bonjour Emmanuel, bienvenue sur Sircome. Pouvez-vous nous dire quand et comment Lemon tri a commencé ? Et pourquoi ?

L’aventure Lemon tri a commencée en 2011, par la création de cette entreprise. Ça, c’est la version « création d’entreprise légale » mais nous avons mis un an avant d’installer notre tout premier appareil. Plus précisément, nous nous connaissons depuis la maternelle et même si nous avons pris des chemins différents de par nos études, on avait en tête de créer une entreprise ensemble, autour du développement durable, depuis longtemps. Notre souhait était de démarrer un projet porteur de sens, tout en étant viable économiquement.

Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement de vos machines ?

À travers différents voyages, dans l’Europe du nord particulièrement, on a eu l’occasion de voir ces « reverse vending machine » ou des « distributeurs automatiques à l’envers ». L’objectif de ces machines est de recycler rapidement et facilement nos emballages boissons (canettes, bouteilles, gobelets) lorsque l’on est loin de son « bac jaune » (lieu public, salle de sport, bureau). Nous ciblons ce que nous appelons les zones hors foyer. Nous avons donc décidé de mettre en place ce système sur le marché français. La machine reconnait l’emballage inséré, le trie automatiquement dans le bon bac puis récompense l’utilisateur pour son geste (via un cadeau et/ou un don à une association). L’idée est de rendre le tri ludique, différent et surtout plus efficace.

Les machines détectent-elles toutes les erreurs de tri possibles ? En cas d’erreur que se passe-t-il ?

Ces machines détectent, soit le code-barres (pour les canettes et les bouteilles plastiques), soit la forme (pour les gobelets) de l’emballage. On a donc une base de données avec tous les codes-barres existants et nous enregistrons la ou les forme(s) des gobelets susceptible(s) d’être insérés dans la machine. Lorsqu’un élément non acceptable par l’appareil est inséré, la machine annonce à l’utilisateur qu’il faut le retirer.

Qui s’occupe de collecter les déchets ? Que deviennent-ils ?

En Île-de-France, nous collectons les emballages triés par nos machines. En quatre ans d’existence, nous avons petit à petit développé une plateforme logistique dédiée au tri. Les bouteilles, canettes et gobelets sont mis sous forme de balles de 200 kg environ par le biais d’une « presse à balle ». Ce sont ces balles qui sont ensuite envoyées auprès de nos partenaires en France. Ces partenaires recréent de la matière à partir de ces déchets. Hors Île-de-France, nous passons par un réseau de partenaires implantés au plus près de nos clients pour traiter la matière localement.

Les gobelets en plastique ne faisant habituellement pas partie des éléments recyclables, du moins au domicile, quelle solution avez-vous trouvé pour ces derniers ?

En effet, les gobelets plastiques sont peu recyclés. Il faut savoir que c’est une question de volume. Un gobelet est très léger, assez volumineux et très fin. De plus, il est soit en polystyrène (PS), soit en polypropylène (PP). Qui dit deux types de plastique, dit deux types de traitement pour le recyclage. Ces deux plastiques sont peu intéressants économiquement et de moindre qualité.

Aujourd’hui, ce qui ce fait le plus en France, c’est l’incinération, qui permet une création d’énergie. Une forme de recyclage puisqu’il y a bien une recréation – mais pas de matière.

Nous avons choisi deux choses : la première est que nous demandons à chaque client d’avoir un seul type de gobelet. Ainsi, on a des sacs spécifiques pour le PP, le PS ou le carton. Cela permet déjà une cohérence à la source, sur le recyclage. C’est aussi l’occasion pour le client de bien comprendre les enjeux.

À partir de là, il s’agit de négocier auprès d’industriels maitrisant le recyclage de ces matières d’accepter des balles de PP ou des balles de PS pour recréer de plastique. Nous avons un partenaire qui accepte notre gisement, à partir d’un certain volume et à condition qu’il soit « pur » à 100 %. On va retrouver la matière tirée de ces gobelets dans des cintres ou des cabas en plastique par exemple.

N’avez-vous pas peur de créer une confusion chez les usagers qui pourraient penser que les gobelets doivent également être mis dans la poubelle de tri chez eux ?

Comme expliqué précédemment, on travaille avec le client sur cette uniformisation de la matière gobelet. À chaque installation de machine, on sensibilise les utilisateurs au fonctionnement de la machine. Cela passe par une transparence totale sur nos filières et notre métier. C’est à ce moment là que le message passe : cette machine prend uniquement le type de gobelet présent sur le site mais les consignes de tri chez eux restent les mêmes.

On estime aussi que le gobelet est vraiment le symbole de la consommation hors foyer. Chez soi, il est plus rare d’utiliser des emballages jetables. D’ailleurs, on conseille à nos clients, lorsqu’ils le peuvent, de mettre en place des mugs ou des gourdes de bureau pour éviter ces gobelets.

Dans quelle(s) situation(s) vos machines sont-elles utilisées ? À qui sont-elles destinées ?

Les machines ont toutes leurs places dans des lieux que nous nommons « hors foyer », c’est à dire des lieux de travail, des centres commerciaux, des écoles, des lieux publics ou semi-publics. Les grandes entreprises sont les lieux où les machines fonctionnent le mieux aujourd’hui.

Les installations dans les centres commerciaux ou les lieux publics ont plutôt pour vocation à « motiver » et sensibiliser des personnes qui ne s’intéressent pas ou plus au tri. En minimisant les efforts utilisateur et en maximisant l’aspect ludique, les machines sont faites pour ramener un maximum de personnes vers le recyclage.

Comment communiquez-vous sur vos offres de service ? (twitter, blog… quels médias utilisez-vous ?) Quels sont les arguments qui font sens aux différents profils clients ? Quelles sont les motivations des structures faisant appel à Lemon tri ? Et comment celles-ci communiquent-elles sur la mise en place des machines ?

Les machines de tri sont un concept tout nouveau. Nous avons deux types de communication : une prospective, expliquant le concept et l’intérêt de ce type d’offre, et une seconde, avec un aspect plus particulier à notre entreprise, son image de marque et les avantages de notre offre.

Pour cette seconde offre, nous travaillons sur deux axes : une gamme de machines de plus en plus large qui permet de nous adapter aux sites et aux besoins spécifiques des utilisateurs. Le second axe est une « segmentation » client qui nous permet de mieux répondre aux différentes spécificités. On propose alors des services particuliers – et donc une communication particulière – aux espaces détentes, aux collectivités locales, aux centres commerciaux et pour des événements.

  • Les espaces détentes vont chercher à proposer un service innovant pour les salariés, collaborateurs ou élèves des écoles. C’est autant l’aspect outil de recyclage que communiquant qui va être recherché.
  • Les collectivités locales ont très souvent leur service de recyclage opérationnel. Lorsque celui-ci se dynamise ou se développe, un système de machine est un outil de sensibilisation très important. On travaille alors sur des systèmes de gains « citoyens » : des places de concert, des heures d’activités sportives… La machine devient un outil pour inciter les citoyens aux activités de la ville.
  • Les centres commerciaux ont besoins d’augmenter leur taux de recyclage encore très bas, par le biais d’une machine rapide, efficace et très autonome.
  • Enfin, lors d’événement, c’est la recherche d’une solution de gestion des déchets optimale que les organisateurs vont apprécier avec les machines Lemon tri.

Quelles actions de sensibilisation menez-vous lors de la mise en place d’une nouvelle machine ? Quelles actions de communication autour de la machine et au sein des structures mettez-vous en place ? La faites vous varier selon les situations ? Si oui, comment et pourquoi ?

On propose une journée pour présenter la machine et bien sensibiliser sur le tri – toujours de manière ludique et sensorielle. Cela comprend des mini-jeux : des quizz, des mots croisés, des éléments à remettre dans l’ordre… Mais aussi divers supports de communication : des autocollants, des pin’s, des stylos fabriqués à partir de bouteilles recyclés… On propose aussi une campagne d’affichage avec les équivalences (pour un cadre de vélo, il faut 670 canettes !) et des chevalets à placer dans les endroits stratégiques du site où la machine est implantée. On s’adapte évidemment aux différents lieux ainsi qu’aux utilisateurs. On prévoit des discours différents pour des étudiants, des salariés ou un large public d’un centre commercial par exemple. En effet, les enjeux pour ces différents utilisateurs sont très différents. Certains vont rechercher l’appât du gain grâce au système incitatif, d’autres l’action de trier ou d’autres même l’acte de solidarité puisqu’un centime par emballage est reversé à une association.

Avez-vous réalisé des tests pour évaluer les comportements au sein d’une structure équipée de l’une de vos machines ? Avez-vous comparé l’efficacité de vos machines par rapport à un système de tri classique ? Quels types de mesure avec-vous effectués ? La supériorité de ce système a t elle été validée expérimentalement ?

Nous ne nous positionnons pas en supériorité de bacs de tri mais plutôt en complémentarité. L’idée n’est pas de proposer une alternative mais plutôt un nouvel outil pour sensibiliser et pour recycler.
L’avantage de la machine est l’élimination de l’erreur de tri par rapport à des bacs, ainsi que ses aspects « technologique » et « ludique ». En revanche, dans un site à plusieurs étages par exemple, on ne propose pas une machine par étage. Cela prend trop de place et n’a pas de sens écologique. En effet, une machine a un impact carbone positif uniquement si son taux de récupération est assez élevé, contrairement à des bacs.

De nombreux clients ont alors des poubelles de tri pour les étages et les autres déchets (papier, ampoules, déchets ménagers) et une ou plusieurs machines pour les bouteilles, canettes et gobelets dans un ou plusieurs endroits stratégiques.
Ces réflexions sont plutôt le fruit de 4 années d’expérience que d’études scientifiques menées. Elles vont aussi de pair avec une cohérence entre notre offre et le souhait de nous positionner en tant que partenaire du recyclage, pour les clients comme pour les autres acteurs du domaine. Nous apportons un outil innovant et ludique sur le marché du tri, sans avoir la prétention de détenir l’unique solution aux nombreux enjeux du recyclage en France.

Vous donnez la possibilité aux utilisateurs de faire un don d’1 centime à une association pour chaque emballage trié. Des bons d’achats sont également proposés en échange d’un certain nombre d’emballages triés. Les recherches scientifiques démontrent que récompenser les individus à faire quelque chose ne les responsabilise pas, comment vous positionnez-vous par rapport à ça ? Y-a-t-il un risque, selon vous, de déresponsabiliser les citoyens en leur proposant des bons d’achat pour un comportement qui devrait être automatique ? De plus, n’est-ce pas un peu paradoxal avec votre activité d’encourager les individus à consommer et donc à créer des déchets ?

Ce sont exactement les problématiques au cœur des décisions stratégiques de l’entreprise. L’important est de mettre en place des actions en cohérence avec nos valeurs et les questions de responsabilisation et de consommation sont très présentes dans le secteur du recyclage. Il faut bien appréhender les différents enjeux avant de faire ces choix et nous avons conscience que notre stratégie d’aujourd’hui peut évoluer en fonction de la situation de demain. Ensuite, sur ces sujets, nous avons quatre positions :

1) Nous estimons déjà que nos machines sont implantées dans des lieux où, sans les machines, il n’y aurait pas de recyclage. C’est donc « mieux que rien ». Nous avons accompagné des clients qui ont changé leurs gobelets en gourdes de bureau dans cette démarche du respect de l’environnement optimal. Dans ces environnements où l’on n’est que de passage, il n’est juste pas possible de faire sans les emballages jetables : en gare, en conférence…

2) Nous proposons en effet une sorte de récompense pour l’acte de tri. Cela, dans le but de maximiser l’utilisation de la machine. Il existe encore aujourd’hui une grande quantité de personnes non concernées par le recyclage. Si elles le deviennent en espérant gagner un café, on estime tout de même améliorer les choses. Il paraît difficile de dire que notre système incite à boire plus de café. De plus, nous faisons en sorte de proposer dans la mesure du possible des cadeaux éco-conçus ou éco-responsables (chocolat issu du commerce équitable ou plantation d’arbres).

3) Très conscients cependant de ces enjeux, la mise en place d’un système ludique nous paraît aujourd’hui très importante pour proposer une alternative au discours d’urgence et moralisateur du recyclage. Le risque de désintérêt envers le recyclage à cause de contraintes trop fortes nous paraît plus dangereux que le risque de déresponsabilisation lié à des incitations. Ce système est surtout accompagné d’importantes actions de sensibilisation sur l’importance du recyclage.

4) Une canette se recycle à l’infini, comment est-il possible qu’en 2015, elles ne soient pas toutes recyclées en France? Nous estimons que l’urgence est là et que notre métier se trouve dans : aller chercher, là où on ne recycle pas ou peu, des emballages qui seront recyclés. Si cela doit passer par proposer un bon d’achat pour que l’acte de recycler se fasse, on le fait. D’autres pays, ayant des taux de recyclage bien meilleurs qu’en France (Suède ou Allemagne notamment) utilisent déjà ce type de système.

Comment voyez-vous l’avenir de Lemon tri dans les domaines du tri et du recyclage en perpétuelle évolution ?

Le recyclage est en effet en perpétuelle évolution, entre acteurs publics, privés, enjeux environnementaux et économiques. Nous avons aujourd’hui passé le cap des 3-4 ans d’une start-up et la prochaine étape est de devenir un acteur capable d’augmenter significativement le taux du recyclage en France, et le leader sur le marché des distributeurs inversés (Reverse Vending Machine en anglais).

Nous mettons actuellement en place un business model un peu différent pour les lieux publics et les centres commerciaux en gardant bien cette flexibilité, cette ouverture d’esprit et cette capacité de bien prendre conscience des enjeux de ce secteur – aussi « challengeant » que fascinant.

Je vous remercie d’avoir répondu à nos questions Emmanuel, nous continuerons à suivre l’aventure Lemon tri sur http://lemontri.fr/ , à bientôt !

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