Comment les citadins perçoivent-ils la Nature en ville ?

Dans son numéro consacré aux trames vertes urbaines paru en juillet dernier, la revue Développement durable & territoires propose deux articles passionnants dans lesquels les auteurs analysent les perceptions des citadins relatives aux trames vertes, à la biodiversité et, plus généralement, à leur rapport à la Nature.

Sandrine Glatron, Étienne Grésillon et Nathalie Blanc
Les trames vertes pour les citadins : une appropriation contrastée à Marseille, Paris, Strasbourg

Résumé :
De quelle trame verte les citadins peuvent-ils rêver ? Des focus group ont été organisés dans trois villes françaises ayant des cultures urbaines et environnementales très différentes : Paris, Marseille et Strasbourg. Les débats intervenus entre les citadins réunis nous ont permis de mettre en évidence un rapport à la nature et aux continuités naturelles ainsi que des pratiques notablement différents d’une ville à l’autre. Cependant, les représentations citadines de la nature en ville soulignent l’importance des sensorialités dans tous les cas, ce qui nous incite à investiguer le champ de l’esthétique environnementale, et conduit à une réflexion sur l’appropriation et la participation des citadins à ces aménagements promus par la loi Grenelle II de l’environnement.

Conclusion :
Parce que nous avons voulu savoir quelles significations les citadins attribuent aux trames vertes urbaines, aménagement « phare » du Grenelle de l’environnement destiné à lutter contre l’érosion de la biodiversité, nous avons interrogé les habitants de trois grandes villes françaises. La perception de ces trames vertes urbaines, nécessairement déclinées à l’échelle locale, fait écho à la diversité des contextes, des politiques et des environnements urbains ainsi que des cultures locales. Dans tous les cas, l’importance des sensorialités investies dans les représentations de ces espaces, même quand les citadins ne perçoivent pas bien, voire n’imaginent pas les continuités végétalisées dans leur ville, incite à se pencher sur l’esthétique environnementale pour donner sens à ces nouveaux espaces qui pourraient participer au développement de ville plus « durables » et favoriser l’investissement citoyen / citadin dans l’appropriation, la co-construction et / ou la co-gestion de leur espace de vie. Cette réflexion reviendrait à associer à la préservation de la biodiversité, celle du lien social et du « sens » pour des aménagements dont les services éco-systémiques multiples sont, aujourd’hui, soulignés par les scientifiques comme par les gestionnaires et les politiques.

Laure Cormier, Fabienne Joliet et Nathalie Carcaud
La biodiversité est-elle un enjeu pour les habitants ? Analyse au travers de la notion de trame verte.

Résumé :
La notion de trames vertes connaît aujourd’hui une résonnance forte dans le monde de l’aménagement du territoire en France. Elle vise à agir sur la matérialité du paysage par l’installation de structures paysagères à des fins écologiques, ou par la construction d’infrastructures à des fins récréatives. Ces transformations ont une conséquence directe sur le paysage du quotidien qui, en tout premier lieu, est vécu par les habitants. Mais comment cette notion de trames vertes est-elle perçue par ces derniers ? Trente entretiens auprès d’habitants du SCoT Angers Loire Métropole angevine ont été réalisés. L’interprétation des résultats conduit à se pencher sur l’appropriation du terme « trames vertes » et de la notion de biodiversité par les habitants et, plus globalement, sur leurs attentes de « nature ».

Conclusion :
Premier constat de ce travail, le terme biodiversité, relativement jeune dans la langue française, fait difficilement sens pour les habitants. La caractérisation des espèces végétales et animales composant la biodiversité de leur espace de vie est tout autant complexe. L’espace boisé, sacralisé par l’arbre, apparaît, en région angevine, comme l’espace de nature par excellence. Deuxième constat, la biodiversité est une préoccupation secondaire pour les habitants, face à des enjeux environnementaux plus globaux. Peu d’évolutions dans les populations animales et végétales sont remarquées par les habitants localement, comme si la biodiversité « se portait bien ». La seule menace sur la biodiversité qu’ils identifient concerne les espaces de nature « sauvage », une position influencée par les médias. Troisième constat, l’analyse de discours révèle de véritables attentes de nature qui se traduisent par la volonté d’une proximité du vert avec l’habitation. Ses attentes peuvent se concrétiser à travers la proximité de la campagne, de l’espace vert ou du jardin. Ce dernier est alors révélateur de toute l’ambiguïté de la pensée de l’urbanisme aujourd’hui, entre avènement de l’habitat individuel et volonté de limiter l’étalement urbain. L’aménagement des trames vertes s’inscrit dans ce même paradoxe. L’État souhaite leur déclinaison sur les territoires, afin d’accroître la biodiversité en limitant la fragmentation des espaces par l’urbanisation. Par contre, à l’échelle communale, les élus soucieux de favoriser la croissance économique de leur commune et de répondre aux attentes de leurs administrés sont peu préoccupés par ces questions écologiques stricto sensu. La difficulté réside alors dans la possibilité de dépasser cette dualité afin que les territoires soient le support de concrétisations locales de trames vertes. Les résultats de ce travail nous amènent à proposer des clés d’entrée plus pertinentes pour l’habitant. Elles lient, par exemple, la préservation de la nature en ville à la végétalisation de son espace de vie. De nouveaux modes de gouvernance sont alors à inventer pour une meilleure appropriation des problématiques à caractère écologique par les habitants et les élus communaux. Nous pourrions envisager la multiplication d’initiatives individuelles en faveur d’une meilleure prise en compte de la nature, intégrée dans une stratégie plus globale initiée par l’intercommunalité. Ces actions se doivent de s’intégrer dans une multifonctionnalité – enjeux sociaux, écologiques et économiques – pour permettre un réel ancrage des trames vertes dans le monde des habitants et une plus grande robustesse de leurs matérialités.


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