ONG : fédérer grâce à l’humour et l’indignation

Jean-Sebastien Lefévère est un jeune community manager qui vient de publier un article très intéressant sur l’usage des réseaux sociaux par Greenpeace ces dernières années et les atouts et faiblesses de ces campagnes. Entre autres choses, il partage avec nous sa vision des campagnes 2.0, du rôle du CM en cas de crise et des pistes à creuser pour les ONG souhaitant se faire remarquer.

Bonjour Jean-Sébastien, votre récent article « Greenpeace : votre nouvelle agence 2.0 » publié sur My Community Manager a attiré notre attention. Pouvez-vous vous présenter en quelques phrases ?

Après des études de commerce et communication, je me suis intéressé à tout ce qui concerne les médias sociaux. C’est une véritable passion et j’espère en faire rapidement mon métier. Sans aller jusqu’à dire que les interactions digitales remettent en cause le monde des entreprises, force est de constater qu’un avis d’utilisateur sur Internet a parfois plus d’impact que des campagnes de communication coûteuses. La com’ devient donc de moins en moins « top-down », où le consommateur subit le message. Au contraire le terme utilisé depuis plusieurs années de consom’acteur prend véritablement son envol.

La communication n’est pas le seul domaine impacté par les médias sociaux, les outils de veille servent l’ensemble de l’entreprise, les RH sont de plus en plus présentes sur Internet. Le métier de community manager (CM) tend d’ailleurs à avoir une position transversale dans l’entreprise. C’est un ensemble de métiers dont le cadre est encore mal défini et qui évolue beaucoup. C’est assez passionnant.

L’environnement et le développement durable sont-elles des thématiques que vous suivez particulièrement ? Si oui (ou non) pourquoi ?

Pas autant que je voudrais ! Personne n’a d’excuses quant à son comportement environnemental au quotidien, mais tant que des décisions importantes et impactantes ne seront pas prises aux niveaux gouvernementaux, difficile d’admettre que nos petits gestes personnels servent à quelque chose. Je trouve néanmoins qu’il faudrait revenir à certains fondamentaux, ne plus décider de plans urbains autour de l’utilisation de la voiture, baisser les taxes sur des produits locaux et a contrario taxer davantage ceux qui viennent de loin (dans un but écologique, je ne suis pas particulièrement pour le protectionnisme économique). Je ne suis pas contre la mondialisation, mais il faut bien avouer que nos modes de consommation sont trop incohérents.

Comme vous le rappelez, les campagnes virales de Greenpeace se multiplient depuis plus d’un an : KitKat, Facebook, Barbie, VW, Detox… À quel moment avez-vous eu l’idée d’écrire cet article et pourquoi ?

Tout d’abord il existe de nombreux articles disséquant les différentes campagnes de Greenpeace. L’idée de mon article était de passer rapidement en revue ces dernières campagnes avant de rentrer dans une analyse mettant en exergue les points communs des différentes opérations (le ton, l’utilisation des vidéos virales). Le process utilisé est globalement le même à chaque fois, l’idée principale étant d’informer les internautes autour d’une cause, de fédérer grâce à l’humour et l’indignation, afin de faire « plier » les entreprises.

Vous indiquez que certaines marques ont mal réagi face aux attaques, par exemple en tentant de faire disparaître certaines vidéos ou en supprimant l’accès à leur page Facebook. Si vous étiez le responsable communication d’une telle entreprise, quelles seraient vos recommandations ? Quel serait votre plan de bataille ?

Il est toujours plus facile de critiquer les réactions des entreprises placées dans ces situations, et personne ne souhaite y être. Pourtant c’est bien le rôle d’un CM et de son entreprise d’affronter ces fameux « bad buzz », plus ou moins médiatisés. La facilité, dans l’empressement, est de supprimer les commentaires négatifs, pour ne laisser transparaître que les positifs. Évidemment ça ne marche que très rarement, et en général la frustration liée à la censure augmente l’indignation des internautes, clients ou pas de la marque. Et si le CM a un certain contrôle sur son blog, la FanPage, le compte Twitter, il n’en est rien sur tout ce qui constitue l’immensité d’Internet.

Les internautes attendent avant tout de l’écoute de la part des marques. Aucune entreprise n’est irréprochable, et je pense qu’il est important, lorsqu’une décision est prise d’expliquer de manière la plus transparente possible, les tenants et aboutissants de cette dernière. Utiliser les médias sociaux pour demander leur avis aux clients de la marque est un excellent moyen. Rien n’est pire pour les clients que d’apprendre une décision par les médias sans que l’entreprise n’ait daigné communiquer quoi que ce soit d’elle-même.

Ces campagnes sont indiscutablement des succès pour Greenpeace. Mais jusqu’à quand ? N’y aura-t-il pas tôt ou tard un phénomène de lassitude de la part du public ? Y a-t-il des pistes qui ne sont pas encore exploitées et qui permettraient de renouveler le genre ?

On peut s’attendre à une lassitude, c’est clair. Par exemple la campagne Volkswagen a énormément marché grâce à la première vidéo. Une seconde avait été lancée quelques jours plus tard et étonnamment, elle s’est assez peu échangée. Sur Facebook, les « fans » ont « liké » mais cette action présente un engagement assez faible, et difficile de dire si beaucoup d’entre eux sont retournés d’eux-mêmes sur le site mis en place par Greenpeace pour constater les évolutions.

Le principal enjeu avec Internet et les médias sociaux en général est de réussir à se faire remarquer. Face à un trop-plein d’informations, la visibilité d’une marque ou d’une organisation est très difficile à obtenir. Le phénomène étant encore récent, il est toujours possible de faire preuve d’imagination, de créer. Mais peu à peu, les mêmes codes sont repris, laissant finalement peu de place aux nouveautés.

En conclusion de votre article, vous indiquez que les marques attaquées en sortent finalement grandies et que ce serait une opportunité d’être la cible de Greenpeace ! Sur quels éléments vous appuyez-vous ?

Ceci est avant tout une supposition, car il faut du temps pour se remettre d’un bad buzz (en plus des restructurations en interne pour répondre aux critiques émises). La plus ancienne des campagnes Greenpeace ayant réellement exploité les médias sociaux est celle de KitKat. Cette infographie montre que le sentiment positif global de la marque a finalement été retrouvé, après le bad buzz. J’y vois deux aspects : le fait que la marque ait finalement répondu positivement aux critiques des internautes évidemment, mais aussi une sorte « d’oubli » de la part de ces derniers. Le buzz est sans doute par essence violent et court-termiste, et finalement une personne qui a vu et a été choquée par la vidéo, n’aura sans doute aucun remord à acheter un produit de la marque plusieurs semaines après.

De telles campagnes sont-elles vouées à fonctionner uniquement à l’échelle internationale ? En effet, en France, les campagnes environnementales qui font le buzz sont encore « classiques », comme celle de FNE par exemple. Pourrait-on un jour voir la même chose en France ? À quelle(s) condition(s) ?

Si on part du principe qu’il suffit de faire une vidéo drôle et originale, et qui parvient à faire passer le message voulu, oui. Maintenant Greenpeace, c’est avant tout un nom que tout le monde connaît. Le partage aurait sans aucun doute été moindre si la signature avait été celle d’une organisation plus modeste, moins réputée. Il y a également une qualité de réalisation évidente, il faut donc un minimum de moyens.

Petite comparaison entre Greenpeace et FNE (qui n’engage que moi) : les thèmes abordés peuvent sembler équivalents et rassembleurs. Greenpeace d’un côté qui informe sur la pollution des eaux à proximité des usines chinoises utilisées par des marques d’habillement, la déforestation et la destruction de l’habitat de certains animaux. FNE de l’autre côté qui s’inquiète des algues vertes générées par un certain type d’élevage, des pesticides mortels pour les abeilles. Bref, si les thèmes spécifiques sont différents, l’idée globale les rassemble.

La différence est que, tandis que FNE s’attaque à l’agriculture intensive, Greenpeace s’attaque à des acteurs personnifiés sous leur nom de marque. Greenpeace du même coup théâtralise de manière plus concrète son message, avec un aspect manichéen très prononcé. Dans ses campagnes, l’ONG raconte des « histoires » (au sens premier du terme) ce qui intéresse et fédère. FNE au contraire lutte contre une cause trop vaste, et pas suffisamment parlante pour les consommateurs. Mettre en jeu la réputation d’une seule marque est plus efficace, plus concret, plus facile à comprendre, que de se battre contre un corps de métier tout entier. Ensuite il faut avoir des armes juridiques fortes pour se confronter à des groupes ou marques importantes.

Le sommet de Copenhague en 2010 a été l’occasion de voir naître des coalitions internationales comme 350.org ou TckTckTck (cf. ). Quel regard portez-vous sur ces opérations associant des ONG, des peoples et des millions de « followers » ? Cela fonctionne pour Greenpeace, pourquoi pas pour ces coalitions ?

J’imagine quelques pistes à creuser pour les associations et ONG environnementales (et cela peut sans doute s’appliquer à leurs homologues caritatifs) :

  • Utiliser l’humour. Les discours alarmistes/chocs ont d’après moi assez peu d’écho au final. Autour de moi, les fumeurs ont tous été dégoûtés par les photos des paquets de cigarettes, je n’en connais pas qui ont arrêté de fumer pour cela. Les conducteurs sont choqués par les publicités mettant en scène des accidents mais ne modifient pas leur comportement pour autant.
  • Viser une cause précise et concrète. Dans la suite de la question précédente, il me paraît important pour le grand public d’impacter sur un domaine spécifique, sans besoin de rentrer dans des explications complexes. Non pas parce que le public est idiot, mais parce qu’il est soumis à un nombre de messages très (trop) important tout au long de la journée. En ce sens les initiatives 350 et TckTckTck risquent d’apporter un message confus et trop diffus.
  • Miser sur l’égo. Les médias sociaux nous le prouvent tous les jours. Beaucoup de gens ont besoin de se montrer, de se mettre en scène, et demandent de la reconnaissance. Dans le cadre de dons, peu sont ceux qui le font sans rien demander en retour (heureusement que ces personnes existent!). Greenpeace par exemple (sans vouloir faire l’apologie de cette Organisation) propose pour la construction de son nouveau « Rainbow Warrior » de graver le nom de chaque donateur à un endroit précis du futur bateau. Si de même, une association fait la promesse au donateur de mentionner ses noms/prénoms (et pourquoi pas profils Facebook) sur son site Internet, ou crée un badge/avatar exclusif pour eux, c’est sans doute un bon moyen d’inciter les gens à s’engager.

-* Mettre en place un label. Je me souviens avoir travaillé avec une entreprise qui détenait l’ISO environnementale 14001 pour ses produits. Il ne fallait surtout pas omettre de le placer à chaque création de document ! J’imagine dans le même ordre d’idées des créations de labels spécifiques (échelle nationale et pourquoi pas mondiale) qui seraient remis à des entreprises respectant une charte environnementale claire. Cela se fait dans l’automobile, et pourrait s’appliquer dans de nombreux domaines.

Pour conclure, Greenpeace a un mode opératoire semble-t-il bien rodé, associé à un « nom » et une force de frappe qui place cette organisation dans un cercle fermé. Pour des organisations plus modestes, plus locales, il ne s’agit pas de copier ces campagnes, mais s’en inspirer peut être un bon point de départ. À voir maintenant si la lassitude ne gagnera pas les internautes, car de même que les marques doivent rivaliser d’ingéniosité pour se donner de la visibilité, les organisations et associations ont une place limitée à s’octroyer dans l’immensité du web !

Merci Jean-Sébastien. Ceux qui souhaitent poursuivre la discussion peuvent vous contacter sur votre compte Twitter @jslefevere ou bien se rendre sur votre blog News community.


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