Pour ce second numéro de Greenwashing news, après l’iPad « bon pour la planète », j’ai choisi de rester dans l’univers de la tech avec une publicité BtoB de la société Back Market qui affirme à tort que ses appareils reconditionnés ont « un impact positif pour la planète » et qui présente de façon incomplète les éléments de preuve tirés d’une étude ADEME.
Le descriptif de la publicité incriminée
La publicité a été diffusée sur le réseau social Linkedin en avril 2023. La marque affirme : « Chez Back Market Pro, équipez vos collaborateurs des meilleurs appareils reconditionnés pour un impact positif sur leur confort de travail et sur la planète » et, tout en bas du visuel : « Nous aussi on est très pro. Pro-économies. Pro-planète. »
Ces allégations environnementales sont accompagnées de l’élément de preuve suivant : « – 77 kg de CO2* économisé par téléphone portable » qui renvoie vers la mention « *Rapport ADEME 2022 ».
L’analyse du JDP
J’ai signalé cette publicité au Jury de Déontologie Publicitaire. Ma plainte a été jugée fondée, le cas de greenwashing est confirmé. Voici une synthèse de l’avis publié le 5 juillet 2023.
Concernant les allégations environnementales « impact positif sur la planète » et « pro-planète »
Le Jury reconnaît que « le reconditionnement permet de réduire l’impact environnemental de la consommation de produits numériques, en privilégiant le réemploi de ces derniers et, ainsi, en réduisant les besoins de fabrication de nouveaux produits. Cette qualité environnementale peut tout à fait être valorisée dans une publicité. »
Il ajoute toutefois : « il ne saurait en aucun cas être allégué que l’acquisition de téléphones portables reconditionnés auraient un “impact positif sur la planète” alors, d’une part, que l’activité de reconditionnement, comme l’utilisation des téléphones, occasionnent des nuisances environnementales et, d’autre part, qu’un client est susceptible de mettre au rebut des produits encore fonctionnels au profit de produits reconditionnés plus performants, ce qui est source de déchets électroniques supplémentaires. »
Par ailleurs, « L’annonceur ne peut revendiquer la qualité de “pro-planète”, attachée à l’entreprise elle-même, au seul motif qu’il commercialise des téléphones portables reconditionnés. »
Ces deux allégations contreviennent donc aux points 3 (proportionnalité) et 7 (vocabulaire) de la Recommandation Développement durable de l’ARPP.
Concernant l’élément de preuve « – 77 kg de CO2 économisé par téléphone portable »
Le Jury note plusieurs manquements au point 4 (clarté) de la Recommandation DD qui impose que tout argument de réduction d’impact ou d’augmentation d’efficacité soit précis et indique la base de comparaison utilisée.
- Le terme de référence auquel se rapporte son allégation « – 77 kg de CO2 » : il pourrait ainsi s’agir aussi bien de produits neufs que de produits reconditionnés commercialisés par d’autres entreprises.
- La période sur laquelle porte cette allégation : 2 ou 3 ans ?
De telles informations doivent figurer dans la publicité elle-même, le renvoi au rapport de l’ADEME n’est pas suffisant.
Le Jury a aussi analysé l’étude ADEME citée en référence par Back Market. Elle fait apparaître deux données chiffrées concernant l’empreinte carbone comparée d’un smartphone neuf et d’un smartphone reconditionné :
- Le nombre – 77,59 kgeqCO2 qui compare les émissions des produits sur l’ensemble de leur cycle de vie.
- Le nombre – 24,6 kgeqCO2 qui compare les émissions évitées par un smartphone reconditionné par année d’utilisation, en faisant l’hypothèse d’une durée de vie du téléphone de deux ans, contre trois pour un produit neuf.
Le Jury relève : « dans la synthèse du rapport, seul le chiffre de – 24,6 est repris et présenté comme une analyse sur l’ensemble du cycle de vie, rapportée à chaque année d’utilisation. L’ADEME en conclut que : “À l’échelle d’un individu, la substitution d’un smartphone neuf par un smartphone reconditionné permet d’éviter : (…) l’émission de 24,6 kgeqCO2 par an. »
Conclusion du JDP : « Dans ces conditions, l’annonceur ne peut afficher de manière générale une réduction d’émissions de 77 kgeqCO2 sans présenter clairement le contexte particulier dans lequel il est valable et, en particulier, les hypothèses retenues. »
Les points clés à retenir du cas Back Market Pro
- Les règles déontologiques s’appliquent aussi aux communications commerciales en BtoB. Le même niveau de vigilance qu’en BtoC s’impose. L’entreprise Back Market a d’ailleurs reconnu que cette publicité « a fait l’objet d’un contrôle préalable plus léger que pour les publicités à destination du grand public ».
- Lorsque votre produit présente une réduction d’impact environnemental significative, comme c’est le cas pour les appareils reconditionnés proposés par Back Market, vous pouvez (et devez) le valoriser dans vos supports, mais attention à ne pas laisser croire au public que l’achat ou l’usage contribue à « protéger » la planète ou aurait un effet « positif ».
- Enfin, c’est un excellent réflexe de citer une étude scientifique en référence, mais la seule mention ne suffit pas à justifier un argument de réduction d’impact. Il convient d’être le plus précis possible, d’indiquer dans la publicité elle-même la base de comparaison utilisée et le contexte dans lequel cet argument est valable.
Que s’est-il passé après la plainte et l’avis ?
Dans son argumentaire en session plénière, l’entreprise a indiqué que la publicité avait « été retirée rapidement, en trois jours » en ajoutant immédiatement « comme elle avait prévu de le faire initialement ». Autrement dit, la campagne n’a pas été perturbée par la plainte.
Sur LinkedIn, le Directeur de Back Market Pro avait réagi à ma critique, notamment en expliquant : « Notre démarche est sincère mais je comprends que la forme puisse être critiquée. Je prends note de vos critiques, également celles relatives aux règles de déontologie que vous énoncez, et nous ferons mieux la prochaine fois pour ne pas laisser de doute sur nos intentions. »
Pourtant, un an après cette affaire, Back Market Pro continue à utiliser sur son site web l’argument de « – 77,3 kg de CO2 » sans base de comparaison ni élément de contexte (ici) et à affirmer que « la tech reconditionnée prend soin de la planète » (là) comme en attestent les captures d’écran ci-dessous.
Cela démontre que l’entreprise n’a pas tenu compte des remarques émises par le Jury, contrairement à ce que déclarait le responsable de la marque, et cela souligne les limites du dispositif d’autorégulation.
La réponse du responsable de la marque suite à la publication de mon analyse critique de la publicité.
Capture d’écran d’une page du site de Back Market plus d’un an après la plainte : de nombreux arguments chiffrés non contextualisés sont utilisés. Rappel : la citation de l’étude ADEME en référence ne suffit pas.
Capture d’écran d’une page du site de Back Market plus d’un an après la plainte : l’allégation « La tech reconditionnée prend soin de la planète » n’est pas conforme aux règles déontologiques.