Ce que cache la publicité pour la viande

Je viens de découvrir cette excellente étude réalisée par Greenpeace Danemark et publiée en novembre 2021 : « Haché menu : ce que cache la publicité pour la viande ». Elle repose sur des recherches menées sur la culture du marketing de la viande en France, en Pologne, en Espagne, au Danemark, en Allemagne et en Suisse. Plusieurs chercheurs en sémiotique et en marketing ont analysé les stratégies et symboles adoptés par 51 marques pour exploiter le besoin qu’ont les consommateurs et consommatrices d’être acceptés, accomplis, aimés, respectés et, au final, de se sentir bien.

En voici le résumé : « Le marketing pour la viande est un monde merveilleux, peuplé d’animaux élevés en plein air dans de verdoyants pâturages et des fermes idylliques, et où la couleur verte domine. Dans cet univers fabuleux, les enfants croquent des knacks à belles dents, de « vrais » hommes dévorent de la viande rouge tandis que les femmes mangent de la volaille en tranches fines pour rester en bonne santé. Ici, la viande est l’élément qui crée du lien social. Mais derrière le fantasme soigneusement construit que l’industrie de la viande nous vend se cache une réalité tout autre. »

Face à cette manipulation de l’opinion publique, l’ONG appelle à un encadrement du marketing et de la publicité en faveur de la viande afin d’infléchir la consommation pour protéger la nature et notre santé.

Le rapport est disponible sur le site de Greenpeace France.

Les 7 grands mythes de la publicité en faveur de la viande

Voici les 7 mythes existants ou créés de toutes pièces sur lesquels s’appuie l’industrie de la viande, identifiés et documentés dans l’étude :

La viande fait partie de la solution à la crise climatique, mais pas du problème.

Pour nous donner la « permission » de manger de la viande, l’industrie de la viande a surtout recours au concept de la viande « écologique » ou « verte » (aussi appelée « bonne viande », ou « viande heureuse »). Si certaines viandes biologiques sont clairement élevées de manière plus éthique et plus respectueuse de l’environnement, bon nombre de viandes non biologiques copient leur concept marketing et leurs emballages, avec pour principal marqueur de « vertu » la
couleur verte, qui n’est officiellement associée à aucune signification particulière.

La viande est bonne pour votre santé.

D’après certaines recherches, la crainte de manquer de protéines constitue l’une des principales raisons empêchant les consommateurs de réduire leur consommation de viande ou de devenir végétariens ou véganes. Les emballages et la communication de l’industrie de la viande œuvrent à renforcer ce mythe des protéines.

Manger de la viande (rouge) fait de vous un homme.

Le stéréotype culturel selon lequel manger de la viande (et en particulier de la viande rouge) fait de vous un (vrai) homme est tenace. L’association de la viande à des valeurs telles que la force du mâle, l’affirmation de soi, la domination et la virilité a pu être observée sur tous les marchés analysés.

Une bonne épouse et mère prépare et sert de la viande à sa famille.

Dans le marketing de la viande, les femmes occupent l’espace opposé à celui des hommes : en bref, elles sont rarement vues en train de manger de la viande, et quand elles en mangent, c’est plutôt de la viande blanche ou de fines tranches de charcuterie. En outre, les femmes sont presque toujours montrées en train de préparer ou de servir la nourriture à leur famille, un rôle nourricier, de servante passive. La viande est présentée comme la clé de voûte de tout repas familial, l’élément qui fait d’une femme une bonne épouse et une mère soucieuse de bien nourrir ses enfants.

Manger de la viande est un acte patriotique.

La montée récente du populisme patriotique dans de nombreux pays est une aubaine pour l’industrie de la viande. Bon nombre de marques et de labels affichent le drapeau de leur pays (sur les emballages ou en magasin) pour indiquer que la consommation de viande est un acte patriotique. Manger la viande de son pays devient ainsi un moyen de préserver une identité traditionnelle face au multiculturalisme, et une façon de protéger l’économie et de promouvoir une certaine influence sur le monde.

Manger de la viande rapproche les gens.

Sur de nombreux marchés, manger de la viande est présenté comme une activité collective et ritualisée (souvent liée aux fêtes religieuses et nationales) qui rassemblent les personnes. Elle résout les différends politiques et restaure l’harmonie entre les générations. Dans tous les pays d’Europe étudiés, les jours de fête (que ce soit Noël ou un mariage) s’articulent autour de la viande.

Manger de la viande est une question de liberté, de choix et d’individualité.

À l’instar de l’alcool, du sucre ou du tabac, certains produits mauvais pour la santé peuvent être défendus par des arguments et des messages sur la liberté, le choix et la singularité. Plus la qualité du produit est basse, plus la marque est susceptible de faire appel à une métaphore émotionnelle au lieu de tabler sur les caractéristiques de son produit pour le vendre.

Les conclusions et recommandations de Greenpeace

Le rapport se termine par les conclusions et recommandations de l’ONG dont je reproduis ici les principaux éléments :

« Nous sommes tous victimes de la publicité au quotidien, mais certaines parties de la population sont plus vulnérables que d’autres, notamment les enfants, les jeunes adultes et les femmes. Cette manipulation s’accompagne d’un coût insupportable pour la santé de la planète et de ses habitant·es, dès lors qu’elle vise à augmenter notre consommation de produits nocifs pour le climat, comme c’est le cas de la viande.

Au lieu d’affronter la réalité, certaines entreprises et organisations profitent de l’occasion pour combler les besoins émotionnels des personnes et leur vendre de la viande. Leurs histoires de marque promettent du sens et une appartenance identitaire, et les responsables politiques leur laissent le champ libre, allant parfois jusqu’à financer leurs campagnes.

Il est indispensable que nous changions radicalement nos habitudes alimentaires, mais cela ne pourra pas se faire en l’état actuel des choses. La publicité et la promotion en faveur des produits d’origine animale doivent s’aligner sur ce changement. Politiciens, entreprises et médias doivent veiller à ce que les citoyen·nes et les consommateur·rices ne soient pas manipulés pour faire l’inverse. »

Les entités de Greenpeace en Europe appellent…

… les gouvernements européens, les conseils municipaux et locaux ainsi que la Commission européenne à :

  • Stopper le financement public des publicités et de la communication visant à promouvoir et augmenter la consommation de viande et de produits laitiers. Ces fonds devraient au contraire être alloués à la promotion de régimes alimentaires à base de végétaux.
  • Interdire la publicité, le parrainage et les publications des entreprises et des organisations productrices de viande dans les espaces publics (possédés, gérés, loués ou organisés par les pouvoirs publics) et dans toutes les publications diffusées dans les institutions publiques (notamment les ouvrages scolaires).
  • Veiller à l’application effective de la législation contre la publicité trompeuse aux niveaux européen et national lorsque les entreprises agroalimentaires font de fausses allégations en matière de climat, de développement durable et de santé dans tous les médias, numériques ou non, y compris sur les emballages, en surveillant tout particulièrement le secteur de la viande.

… les détaillants à :

  • Interdire la publicité et les offres promotionnelles en faveur de produits à base de viande et de produits laitiers dans les magasins et dans le marketing ; s’engager au contraire en faveur de davantage de transparence et d’un marketing honnête, et accroître la promotion pour des produits plus sains, à base de végétaux ou d’animaux élevés dans le respect de l’environnement, ainsi que l’accès à ces produits.

… les médias à :

Interdire la publicité en faveur de la viande, les éditoriaux sponsorisés, le placement de produits et le parrainage ciblant les enfants et les adolescents sur tous les médias, numériques ou non, y compris les emballages de produits, les livres et BD, les supports scolaires et les supports de communication pour la santé.

… le secteur créatif à :

  • Pour les agences : mettre en place des politiques internes qui évitent les marques nocives pour le climat et la biodiversité, notamment les
    clients du secteur de la viande et des produits laitiers issus d’élevages industriels ;
  • Pour le personnel : refuser de travailler pour des marques nocives pour le climat et la biodiversité, et tout particulièrement les entreprises du
    secteur de la viande et des produits laitiers issus d’élevages industriels.

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Je remercie vivement Katarzyna Udrycka de m’avoir indiqué la publication de cette étude qui vient utilement compléter le « guide sur les représentations des modes de vie dans les publicités » d’Entreprises pour l’environnement, sur le volet du stéréotype « Le carnivore compulsif ».


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