Céline Hervé-Bazin : Communiquer sur l’eau, échelles, cibles et responsabilité(s)

En 2014, les élections municipales vont lancer une bataille politique pour la course aux électeurs et dérouler des nouvelles promesses destinées à répondre aux grands défis auxquels la France fait face. La gestion de l’eau va-t-elle faire l’objet de la surenchère des candidats ? Argument politique stratégique, les prises de parole et campagnes sur l’eau pourraient bien se multiplier dans un paysage déjà chargé, d’après Céline Hervé-Bazin, experte en communication sur ce thème.

Bonjour Céline et bienvenue sur le site Sircome.fr. Vous êtes consultante et enseignante en communication, en particulier sur le thème de l’eau. Pouvez-vous nous décrire votre parcours et le périmètre de votre expertise ?

J’ai réalisé ma thèse sur l’image de la femme dans les discours et campagnes de communication des organisations de l’eau. Depuis, je n’ai plus vraiment quitté le sujet et me suis spécialisée sur toutes les formes de communication sur cette ressource quel que soit l’acteur concerné (institution publique, entreprise privée, association, citoyen, etc.).

Après plusieurs postes à l’international en tant que chargée de communication, j’ai repris l’enseignement et j’accompagne mes clients pour réaliser des projets de communication innovants sur le thème de l’eau. J’ai pu réaliser des campagnes de sensibilisation, recueil de témoignages, reportage thématique… Je réalise également des supports écrits pour les besoins externes ou internes en essayant de me diversifier sur d’autres thèmes comme l’énergie, le changement climatique pour les sujets environnementaux ou la diversité et l’éducation.

De nombreuses collectivités et ONG prennent la parole sur le thème de l’eau. Quels sont les différents enjeux traités ?

Les municipalités multiplient les campagnes sur des thèmes aussi différents qu’importants. Les campagnes les plus nombreuses assurent la promotion de l’eau du robinet afin de changer les habitudes des Français, grands consommateurs d’eau en bouteille ou encore pour rassurer sur la qualité de cette eau. Eau de Paris a notamment été récompensée en 2013 par Cap Com pour sa campagne Ouvrez un grand cru. Le service des eaux de la capitale poursuit cette promotion à travers plusieurs outils et en particulier, un ancrage territorial fort autour des fontaines à eau qui distillent sa présence dans tout Paris. La ville de Cannes a axé sa campagne sur l’argument de la qualité de l’eau avec comme titre, le seul mot Santé !. Le syndicat mixte de collecte, de traitement et de valorisation des déchets ménagers du Vendômois a participé à la promotion de l’eau du robinet sous l’angle de la diminution des déchets (Je T moins. Jeter mieux en avril 2013).

D’autres campagnes ont exploité des sujets comme la qualité des eaux de baignade : Pavillon Bleu à l’échelle nationale ou celles locales comme Inf’eau mer récompensée par les Trophées de la communication. Cette dernière en cours depuis 2002, s’est renouvelée en 2013 grâce aux réseaux sociaux. Toujours sur Internet, la campagne de consultation citoyenne sur la gestion de l’eau menée par les six agences de bassin, a mobilisé 25 000 Français et présente une démarche inédite de consultation. Encore, Solidarités International a reçu le Grand prix de la communication citoyenne pour sa campagne pour l’accès à l’eau dans le monde Water Ink ; lancée en 2012 et diffusée essentiellement via les réseaux sociaux. Transversale, la communication sur l’eau répond à plusieurs codes, elle se décline pour une grande variété de cibles et à diverses échelles, ce qui ajoute de la confusion dans le décryptage des messages.

Sur ce thème de l’eau, quelles sont les contraintes légales imposées par l’Europe aux acteurs français ? D’ailleurs, l’Union Européenne développe-t-elle ses propres campagnes ?

Directive cadre sur l’eau, les eaux de baignade ou des eaux urbaines, la politique française de l’eau s’inscrit dans la continuité de la législation européenne dont elle traduit les principes. En matière de communication, la complexité de l’application de ces lois entraîne des incompréhensions voire leur rejet par les utilisateurs en particulier, les agriculteurs. Certaines politiques de communication sont lancées à l’échelle locale pour faciliter un dialogue entre les agriculteurs, les représentants politiques locaux et d’autres acteurs, le plus souvent des associations. Ces actions favorisent une meilleure compréhension et participent à une médiation bénéfique pour l’application des réglementations européennes.

Pour devenir visible à l’échelle locale, l’Europe a développé de nouvelles campagnes de communication grand public. Après l’année européenne de l’eau en 2012 marquée par des campagnes symboles comme Chaque goutte compte ou Génération Awake, l’année 2013 aura vu le succès l’initiative européenne citoyenne (ICE) pour le droit à l’eau, initiative indépendante à forte teneur politique. Elle pose l’enjeu de la mobilisation citoyenne autour de la gestion des ressources en eau à l’échelle nationale.

Selon vous, certains enjeux relatifs à l’eau sont-ils encore peu ou mal communiqués en France ?

Peu de campagnes de communication ont investi le terrain de la gestion de l’eau et de l’assainissement sur les thèmes du coût, des services ou des infrastructures. Depuis quelques années, certaines campagnes ont lancé le débat autour de la notion d’invisibilité des services rendus, un thème récurrent sur d’autres sujets comme l’électricité, le gaz naturel ou les transports. L’ensemble de ces démarches participe à faire prendre conscience des enjeux d’une gestion à long terme d’infrastructures qui nécessitent investissements colossaux, dépenses de maintenance et ajustements quotidiens.
Peu de villes ont communiqué sur les enjeux des infrastructures et du développement urbain comme par exemple, water is your business (l’eau, c’est votre affaire). Cette initiative américaine sensibilise sur le vieillissement des infrastructures à travers une animation Internet efficace. À nouveau, l’enjeu est la compréhension par le citoyen des coûts et le respect lié à la gestion « des biens communs » et des services essentiels.

Quel regard portez-vous sur l’usage grandissant des réseaux sociaux pour toucher les citoyens ? Est-ce suffisant pour les impliquer réellement ?

Face aux multiples défis liés à la gestion de l’eau, la communication sur l’eau répond aux caractéristiques de la communication environnementale ancrée sur les perceptions et les attitudes des citoyens vis-à-vis de leur consommation des ressources naturelles. Les événements et le marquage territorial semblent constituer le meilleur moyen d’atteindre le citoyen autour de thèmes qui le touche personnellement. L’expansion des médias sociaux a multiplié les possibilités de s’adresser directement au citoyen et les dernières campagnes investissent massivement sur les possibilités données par ces outils.

Le jeu Saatchi & Saatchi par exemple, pousse les utilisateurs à exploiter des terres agricoles face aux changements climatiques. Les différentes Journées Mondiales organisées par l’ONU pour l’eau, les toilettes ou l’environnement, ont fait la part belle à l’engagement des citoyens via les réseaux sociaux. Des organisations aussi diverses que l’UNICEF, des associations comme water.org, Charity Water, Solidarités International ou encore, les agences de bassin investissent massivement les applications téléphones, les jeux ou la force des réseaux pour afficher l’engagement par les individus toujours difficiles à chiffrer.

Le succès des initiatives politiques comme celle du droit à l’eau ou celui rencontré par la campagne contre le chalutage en eaux profondes, menée par l’association Bloom, souligne la force de la bulle virtuelle mais interroge toujours, sur la sensibilisation et la compréhension de ces défis par les citoyens. La communication sur l’eau se trouve rapportée au politique et engage la responsabilité des citoyens.

Les élections municipales approchent. Le thème de l’eau sera-t-il ou devrait-il être au cœur des campagnes ?

À l’approche des élections, ces échelles de communication entrainent un mélange entre les messages, les campagnes et les perceptions des enjeux. Elle suggère une la formation et l’information du citoyen et surtout, les respects des principes d’une communication responsable. La gestion de l’eau, ses services et sa transversalité, suggère une complexité qui est souvent affirmée par les acteurs. Ces communications sur l’eau font débat au point d’opposer frontalement experts, professionnels, politiques et citoyens. À cette confusion, c’est bien une communication responsable sur les problématiques d’usages des ressources qui doit désormais guider les débats et campagnes sur l’eau. Maintenant, est-ce que cela sera dans les campagnes municipales… Si on regarde ce qui s’est passé avec les élections présidentielles, c’est décourageant. À l’échelle locale, ça peut faire débat mais d’une manière générale, l’environnement est brandi autour de discours réducteurs, l’eau n’échappe pas à cette règle.

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