Changer les comportements sans le dire

Ne pas jeter ses déchets par terre, trier correctement, laisser sa voiture au garage, prendre les escaliers plutôt que l’ascenseur ou l’escalator, prendre une douche plutôt qu’un bain, bien remplir sa machine à laver… Tout le monde connaît ces bons gestes, mais qui les « pose » réellement ?

L’une des tendances actuelles, dans la mouvance du nudge, est de changer notre rapport à certains objets du quotidien et de transformer un geste vécu d’abord comme une contrainte en un geste amusant.

La théorie de l’amusement

Dans ce domaine, le constructeur automobile Volkswagen se démarque. Non, je ne fais pas allusion à sa campagne australienne « débile environne-mental » (même si elle me fait beaucoup rire… jaune), mais de sa « théorie de l’amusement » (The Fun Theory) et du concours associé. Plusieurs idées ont déjà été concrétisées dans le domaine de la protection de l’environnement, sur le principe que « proposer une action à la fois simple et amusante est le meilleur moyen de changer, en mieux, le comportement des individus ».

La poubelle la plus profonde du monde

La démonstration de Volkswagen commence avec une banale poubelle de rue et une question : « Pouvons-nous inciter davantage de personnes à jeter leurs déchets à la poubelle en rendant ce geste plus marrant ? ».
Un membre de l’équipe, style MacGyver, installe un dispositif électronique dans la poubelle qui émet un bruit caractéristique quand on jette un déchet dans la poubelle : un son aigu et long, qui s’efface petit à petit, comme dans les dessins animés quand un personnage fait une chute vertigineuse. La poubelle est ensuite replacée dans la rue. En entendant le bruit, les passants sont surpris et attirés.
Petits et grands s’amusent à y jeter leurs propres déchets, voire ceux qui trainent par terre. Bilan : « 72 kg de déchets ont été collectés en une journée » soit « 42nbsp;kg de plus que la poubelle normale située un peu plus loin ». CQFD.

Le collecteur de verre arcade

La seconde idée porte sur un autre objet du quotidien, lui aussi bricolé dans le but de devenir ludique et d’attirer l’attention des passants. Voici le collecteur de bouteilles en verre qui devient jeu d’arcade des années 80, avec lumières clignotantes et compteur de points. Vous augmentez votre score quand vous jetez votre bouteille dans le bon trou au bon moment. C’est l’attraction du quartier : « en une soirée, une centaine de personnes se sont amusées avec collecteur jeu d’arcade alors que pendant la même période, le collecteur classique a seulement été utilisé à deux reprises ».

L’escalier piano

La troisième idée se déroule dans une station de métro de la ville de Stockholm. Pendant une nuit, toute une équipe de bricoleurs transforme les marches grisâtres d’un escalier en touches noires et blanches d’un piano gigantesque. Le lendemain matin, les usagers du métro découvrent les marches musicales, hésitent, montent quatre à quatre, jouent du bout du pied ou sautent à pieds joints…
Bref, « par rapport à un jour classique, le nombre de personnes prenant les escaliers plutôt que l’escalator a été augmenté de 66 % ».

À la fin de cette vidéo et des deux précédentes, la conclusion de Volkswagen est la suivante : « De toute évidence, l’amusement peut changer les comportements dans le bon sens ».

La signalétique urbaine récréative

Dans un autre style, le collectif Démocratie créative a mis en place dans les rues de Strasbourg et de Luzern une « signalétique urbaine récréative » (projet Spielplatz). Un marquage au sol ludique vise à transformer l’espace public en espace de jeu : marelle, basket, saut en hauteur, cible, course, parcours de saut, labyrinthe.
Plusieurs marquages ont été installés autour de poubelles de rues pour inciter les habitants à y jeter leurs déchets. D’autres images sont disponibles sur la page facebook du collectif.

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J’en conviens, ces initiatives sont marrantes et semblent efficaces, au moins à court terme pour les actions Volkswagen (je n’ai pas d’informations pour le marquage ludique au sol). Faut-il pour autant en conclure que ce sont « de bonnes idées qui devraient faire des petits » comme on peut le lire sur le blog Trendsnow ? Je réponds non, pour deux raisons.

Parler à l’intelligence du public

Premièrement, on ne va pas installer partout ce genre de dispositif. Quel serait le coût économique et environnemental de leur généralisation ? Il serait bien plus élevé que les petits gains potentiellement apportés. Et si nous les retrouvions à chaque coin de rue, l’effet de surprise disparaîtrait. Le dispositif amusant, original et attrayant deviendrait lassant, habituel et sans intérêt.

Deuxièmement, et de manière plus fondamentale, ces dispositifs de communication ne s’attaquent pas réellement aux problèmes qu’ils cherchent à résoudre. Ils visent à faire évoluer le comportement des gens sans qu’ils s’en aperçoivent alors qu’il faudrait les responsabiliser. L’objectif est de faire prendre conscience aux citoyens des impacts environnementaux et sociaux étroitement liés à leurs actions quotidiennes, de les pousser à se poser les bonnes questions aux moments opportuns, de prendre du recul par rapport aux gestes routiniers.

Voici deux exemples d’actions qui, selon moi, incarnent mieux cette nécessité de « parler à l’intelligence du public ».

Des conteneurs à déchets de tailles différentes

Les autorités en charge de la collecte et du traitement des déchets de la ville d’Austin, au Texas, ont distribué des conteneurs à déchets de tailles différentes (source). Contrairement à ce que l’on voit d’habitude, le conteneur pour le tri (en bleu) est beaucoup plus gros que celui pour les ordures ménagères (en vert). Ainsi, les habitants sont directement incités à trier davantage pour réduire le volume des autres déchets.

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Des dispositifs qui mettent en évidence le volume d’eau nécessaire par rapport à celui utilisé

Le deuxième exemple provient de la ville de Denver (Colorado) où l’organisme en charge de la collecte et de la distribution de l’eau mène depuis 2006 la campagne « N’utilisez que ce dont vous avez besoin ». Les dispositifs de sensibilisation installés dans un centre commercial au début de l’été mettent en évidence le décalage existant entre le volume d’eau effectivement déversé par les habitants sur leurs pelouses et la quantité nécessaire pour avoir une pelouse belle et en bonne santé. Ainsi, une bouche d’incendie, un distributeur de journaux, un banc public et un panneau publicitaire, tous de taille démesurée, ont été installés à proximité des objets « réels ». Les autres visuels sont disponibles ici. Bel exemple d’incitation à la réflexion, vous ne trouvez pas ?

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