Communiquer son développement durable

Dans le numéro de novembre 2007 de son bulletin d’information AREHN infos, l’Agence régionale de l’environnement de Haute-Normandie propose une analyse et des conseils pour « communiquer son développement durable ». L’article a été rédigé par Alexandre DUDOUBLE. Les dirigeants de l’AREHN ont gracieusement autorisé la publication de cet article sur notre site et nous les en remercions.

Logo-dossier2.jpg

Faire prendre conscience des grands enjeux est essentiel. Si la communication et la cible sont bien choisies, les gestes écocitoyens suivront.

« Je laisse ma voiture au garage », « je trie mes déchets », « j’utilise l’eau de pluie »… La communication sur le développement durable se résume bien souvent à cela. Autant de conseils que nous connaissons tous, mais que nous n’appliquons pas toujours. Il faut croire qu’il n’est pas si facile de modifier les comportements, même si tout le monde s’accorde à dire qu’ils ne sont actuellement pas durables et qu’il faut changer notre société. Et c’est là, bien sûr, que les collectivités territoriales ont un rôle majeur à jouer, notamment en adoptant une communication adaptée et… persuasive.
Une des premières difficultés auxquelles nous sommes confrontés en voulant communiquer sur le développement durable (DD), c’est de le définir avec précision. Pour Anne Versailles, chercheuse à Etopia]], « le développement durable apparaît comme un concept flou dans lequel on peut tout mettre, son contraire et n’importe quoi. Et c’est vrai qu’en fonction du regard que chacun porte sur le monde, de son origine sociogéographique, de son milieu socioprofessionnel, de ses référents philosophiques, de ses intérêts individuels ou corporatistes, chacun y place des dimensions et des priorités différentes ». Ajouter à cela que le DD intègre des notions complexes, scientifiques, sociales, économiques, et affiche des controverses. On comprend pourquoi tout le monde s’y perd ! Enfin, le concept de DD constitue un modèle de société qui n’existe pas encore et reste donc virtuel pour la majorité d’entre nous.. Alors, comment communiquer sur le développement durable ?

Un message souvent peu compréhensible

Pour Frédérique Dequiedt, chargée de mission à ETD]], « la plupart du temps, lorsque l’on explique le DD, on s’astreint à commenter ses fondements, ses temps forts, sa théorie. Or, pour une première entrée en la matière, ce message est souvent peu compréhensible. Il faut déconceptualiser et démystifier le développement durable en s’appuyant sur des exemples simples et concrets qui le rendent plus proche des habitants et des acteurs ». Comme un véritable tic, et comme s’il n’y avait pas moyen de faire autrement, nombre de communications sur le DD sont introduites en rappelant la définition « historique » du rapport Brundtland (voir encadré).
Or, nous sommes demandeurs d’une information sensible. Lorsque le Cevipof], dans une récente enquête, pose la question : « Quel est le problème qui vous paraît le plus important aujourd’hui pour la France ? », l’expression « développement durable » suscite une faible mobilisation. En revanche, l’évocation du « réchauffement climatique », thème plus concret, entraîne un bouleversement dans la hiérarchie générale des choix des sondés.

Pourquoi le ginkgo ?

Pour tenter de donner du sens au DD, on explique ses grands principes et on évoque, entre autres, la notion de gouvernance]. Or, qui dans le grand public comprend cette expression ? Pour pallier ce manque de repères et les problèmes sémantiques qui lui sont liés, le DD se cherche logiquement des icônes et des symboles. Le plus représenté est la feuille de ginkgo (voir encadré), mais qui a la culture nécessaire pour comprendre sa signification ? Au lieu de chercher à expliquer le concept, il serait peut-être plus sage et efficace de peindre son ambiance, de chercher à l’incarner, de le personnifier ou de le mettre en scène.
En dépit des imprécisions du concept et de sa symbolique complexe, de récentes études montrent clairement que le développement durable est une préoccupation croissante des Français. Qui aurait cru que l’environnement occuperait une telle place dans les débats pendant la dernière élection présidentielle ?

Loin des abus marketing

Pour répondre à ces attentes, les collectivités territoriales peuvent mettre en place des politiques locales et inciter leurs partenaires, publics et privés, à progresser en matière de DD. Elles ont aussi des possibilités de sensibilisation et de communication à travers les médias ou les sphères éducative et associative. Le statut public doit permettre de donner du sens au DD, loin de certains abus marketing. Après tout, l’expression « développement durable » est une invention des institutions internationales. Cela confère une légitimité aux autorités publiques et évite l’amalgame entre acteurs de l’environnement et écologistes vindicatifs. Les collectivités peuvent « relocaliser » le débat et les actions à une échelle plus sensible. Les expressions « ville durable », « pays durable », « Agenda 21 », etc. donnent une coloration locale et tangible au DD. Le territoire est l’espace privilégié pour rapprocher le décideur du citoyen. Utile dans un pays où on compte plus volontiers sur l’action de l’Etat que sur le civisme ! Ainsi, une collectivité qui affiche vouloir respecter le protocole de Kyoto à son échelle communique de manière très incitative.

Un métier

Faire changer les mentalités, ce n’est pas simple. Selon Camille Lamouche, consultante en communication à l’agence Stratis]], « régularité, pédagogie, professionnalisme, crédibilité et cohérence de l’action politique semblent être des axes primordiaux pour mener à bien la diffusion d’un message en faveur du DD auprès du grand public. Par ailleurs, nous pouvons envisager que la tonalité de cette communication évoluera pour devenir plus directe, plus « agressive », à l’image des campagnes de prévention routière qui sont peu à peu apparues plus radicale, afin d’avoir un impact fort ».
Il n’est pas question ici de décrire comment mener une campagne de communication, mais plutôt de donner des pistes de réflexion spécifiques au développement durable. Tout d’abord, la communication est un métier. Il est nécessaire de s’appuyer sur le conseil d’agences en communication ou de recruter des professionnels. Un plan de communication mal préparé ne fera qu’entretenir le flou sur le concept.
La communication des collectivités autour du DD doit, ensuite, faire preuve d’inventivité, de cohérence et de transparence. Il est essentiel de fournir aux citoyens une information crédible permettant à chacun de se forger ses convictions. A ce moment, le « donneur de leçons » laisse place au médiateur.

Communication sacrificielle

Pour Bruno Rebelle, conseiller pour l’environnement de Ségolène Royal et ancien membre de Greenpeace, « une politique publique qui veut promouvoir le développement durable doit, certes, commencer par une explication de texte sur ce qu’est le DD. Elle doit aussi très vite mettre en place des dispositifs de concertation permettant aux habitants non seulement de comprendre les grands enjeux du DD, mais aussi d’y participer activement et de peser sur les décisions. Bien souvent, la pratique consiste à « éduquer » les habitants sur ce qu’est le DD sans que la participation suive. En règle générale, au niveau territorial, les initiatives sérieuses et qui se prolongent sont celles qui ont mis l’accent dès les premières étapes sur la concertation et la participation ». Il est donc essentiel d’accompagner les citoyens dans une démarche pédagogique, mais également par un débat public, afin que chacun s’approprie la notion et puisse s’inscrire dans le DD. Les entreprises (Areva, Gaz de France, EDF, Total, Carrefour, etc.) le font très bien, alors qu’elles sont plutôt considérées comme des « méchants » : « D’un côté, la communication commerciale est très efficace parce qu’elle nous suggère du plaisir. La communication sociale et environnementale, pour des raisons éducationnelles et culturelles, est sacrificielle. Pourtant, elles ont toutes les deux le même objectif. L’une est axée sur le comportement tandis que l’autre l’est sur les idées. Je vous laisse juge de leur efficacité », indique Jean-Philippe Rémy, « facilitateur du changement » en entreprise.

Changer les comportements

Bien prétentieux celui qui penserait détenir LA méthode de communication parfaite sur le développement durable. Il faut en permanence se tourner vers ce qui se fait de mieux ailleurs, s’en inspirer en l’adaptant au contexte local.
Pour changer les comportements, l’information est nécessaire, mais pas suffisante. La preuve en est apportée par les campagnes anti-tabac. De même, se contenter de donner une liste de bonnes intentions du type « je laisse ma voiture au garage » ne permet pas de toucher des personnes non sensibilisées et qui, pourtant, seraient prêtes à « reconditionner » leurs automatismes quotidiens. Une bonne information, c’est, par exemple, un label : AB (agriculture biologique), Ecolabel européen ou NF Environnement sont autant de repères permettant au consommateur d’opérer des choix en connaissance de cause.
Pour changer durablement les comportements, on peut envisager de travailler sur plusieurs niveaux. D’abord, faciliter ce changement. Exemple : avec l’opération « Buvez l’eau de l’agglo », l’Agglomération de Rouen incite le citoyen à consommer de l’eau du robinet plutôt que de l’eau en bouteille en lui fournissant une jolie bouteille spécifique (voir encadré).
Un peu de réglementation n’est pas non plus inutile. Exemple : en Corse, l’usage des sacs plastiques est purement et simplement interdit]]. Cette mesure, prise en concertation avec l’ensemble des acteurs concernés, est fort bien accueillie par la population. S’il faut instaurer une nouvelle taxe, employer l’expression « éco-contribution » – valorisante et correspondant à la réalité – plutôt que le mot « éco-taxe ».

Un nouvel imaginaire

Privilégier une attitude positive : « aller vers » plutôt que « s’éloigner de ». On constate souvent que le futur est décrit de manière catastrophique, comme un mur sur lequel nous allons buter. Or, cela entraîne la résignation et, donc, la démobilisation. Le pari de la communication sur le développement durable, c’est de nous inviter à être cocréateurs du monde de demain. Ainsi, pour Pierre Radanne, expert indépendant, « face aux défis écologiques, il faudra créer un nouvel imaginaire individuel grâce auquel chacune et chacun pourra contribuer au bien-être collectif avec plaisir ».
Etre exemplaire. Une collectivité souhaitant plus de « durabilité » chez ses administrés doit elle-même mener des actions dans ce domaine. C’est une question de crédibilité…
Participer à des actions coordonnées, associant action et communication. Exemple : Display () est une campagne européenne destinée à encourager les autorités locales à afficher, dans un but d’information, les performances énergétiques et environnementales des bâtiments publics suivant le modèle de l’étiquette des appareils électroménagers.

Propager par l’exemple

Communiquer pour tracer la voie du développement durable n’est donc pas « un long fleuve tranquille ». « Le DD ne se résume pas à un simple catalogue de procédures environnementales. C’est un projet à construire ensemble, en termes de contenu et de règles de vie, de décision et d’évaluation », précise Anne-Marie Sacquet, directrice générale du Comité 21]. Essayer de changer les comportements de manière frontale, ça ne marche pas. Mieux vaut faire prendre conscience des grands enjeux et, si la communication et la cible sont bien choisies, les gestes écocitoyens suivront. Car, au fond, nous connaissons tous les gestes écocitoyens. Reste à trouver le déclencheur. Pour Anne Versailles, « au-delà des grands principes et des grandes concertations internationales, le développement durable a besoin de se dire, de se propager et de s’incarner. Tout l’art de la communication sur le DD ne serait-il pas d’être contagieux ? Propager par l’exemple, plutôt que de persuader par le discours moral ? ».

Pour des messages plus cohérents

— Faire un message aussi personnalisé que possible.
— Ne pas culpabiliser les gens, les aider à comprendre et à croire que leurs gestes font la différence.
— Faire des propositions précises et directes.
— Insister autant sur les pertes et les gains.
— Utiliser l’empathie et l’imagination.
— Utiliser un langage adapté.
— Tenir au courant le public des progrès réalisés.
— Adapter le message à chaque cible.
— « Voir, c’est croire » : proposer un visuel plutôt qu’un message complexe.
— Répéter le message encore et encore.
— Ne pas faire de promesses sur un avenir incertain.
— Essayer avant de préconiser.
— Ne pas diluer l’implication dans la foule et responsabiliser individuellement.
— Rassurer le public, ne pas lui faire peur.
— Agir aujourd’hui pour aujourd’hui.
— Etre conscient de l’inertie des comportements.
— Ne pas baser toute sa stratégie sur l’argument financier.
— Tenir compte de la réticence naturelle aux conseils.
— Utiliser les « trucs des vendeurs » (en demander plus pour obtenir l’objectif, etc.).
— Marquer les esprits.
— Viser des objectifs ambitieux.
— Demander des engagements de plus en plus forts.
— Définir des actions compatibles avec le quotidien.
— Communiquer au bon moment.
— Faire du développement durable un plaisir.

Ces conseils émanent de l’agence Futerra, spécialisée dans la communication en développement durable. Basée à Londres, elle participe à la mise en place d’actions de grande envergure. Elle aide notamment le gouvernement anglais pour ses campagnes sur le changement climatique. Elle met à disposition des professionnels de la communication un document les aidant à créer des messages cohérents.

Le ginkgo, symbole et logo du développement durable

| ginkgo_XS.png |
| Ginkgo biloba est le descendant d’un groupe d’arbres ayant peuplé la planète il y a plus de 200 millions d’années. Il n’en reste qu’une seule population sauvage, dans l’est de la Chine, mais il a été planté partout dans le monde et se porte très bien. Très résistant à la pollution, aux insectes et aux maladies, ce végétal est souvent utilisé dans le cadre de programmes de replantation urbaine. Il aurait également des vertus curatives pour prévenir l’affaiblissement de la mémoire. C’est un ginkgo qui, le premier, a bourgeonné à Hiroshima, après l’explosion de la bombe atomique. Enfin, la feuille du ginkgo fait un très beau logo. Comment s’étonner, alors, que cet arbre exceptionnel ait été choisi par de nombreuses entreprises et collectivités comme symbole pour leur communication sur le développement durable ? |

A Heidelberg, des centaines de citoyens s’engagent pour le climat

| aukland02_XS.jpg |
| A Heidelberg (Allemagne), dans le cadre de la campagne Gesicht zeigen für den Klimaschutz (« Un visage pour la protection du climat. »), organisée par la Ville, les habitants sont appelés à contribuer activement à la protection du climat en s’engageant à réduire de 20 % les émissions de CO2 de la ville à l’horizon 2015. Les posters mettent en scène des habitants donnant des conseils à leurs concitoyens sur la manière de participer, à leur niveau, à la réalisation de cet objectif. Une campagne est menée conjointement avec des artisans, des industriels et des associations de protection de l’environnement. Elle vise à informer le plus grand nombre de citoyens sur les moyens dont ils disposent pour protéger le climat et les encourager à joindre le geste à la parole. 236 posters ont été affichés jusqu’à présent, mettant en scène plus de 450 habitants qui ont accepté de sortir de l’anonymat pour exprimer leur point de vue sur la protection du climat. |

« Buvez l’eau de l’agglo »

| eau_agglo_XS.png |
| Depuis l’été 2007, l’Agglomération de Rouen mène l’opération « Buvez l’eau de l’agglo ». Son principe est simple : pour encourager les habitants à boire l’eau du robinet, les communes de l’agglomération leur donnent gratuitement une bouteille spécialement fabriquée par un verrier local. L’eau mise en bouteille dans un « bel objet » est valorisée instantanément et concurrence l’eau en bouteille des grandes marques. Elle prend un côté précieux, idéal pour nous sensibiliser sur la rareté progressive de l’eau de qualité. Consommer de l’eau du robinet s’inscrit pleinement dans le développement durable : cela ne gaspille pas de bouteilles en plastique, c’est économique et accessible à tous. Cette action illustre l’intérêt d’une action de proximité en matière de développement durable. Elle montre aussi que la communication peut se faire par l’objet. |


Publié

dans

par

Étiquettes :