Cristaline vs SEDIF

Cristaline, leader français sur le marché de l’eau en bouteille, choisit d’afficher un ton provocateur pour sa dernière campagne publicitaire. Torrent de réactions des institutions et associations. Alors, goutte d’eau dans la mer ou raz de marée médiatique ?

IntrEAUduction

Depuis plusieurs années, les sociétés chargées de distribuer l’eau du robinet à Paris et en Île-de-France lancent des campagnes de communication soulignant les aspects écologiques, économiques et pratiques de l’eau du robinet (cf. notre dossier ). En 2007, le SEDIF a renouvelé les affiches en accentuant les comparaisons avec l’eau minérale comme le montrent les visuels ci-après.

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Se sentant menacée par cette campagne, l’eau minérale Cristaline met en place, un mois plus tard une action de communication choc. Cristaline est une propriété du groupe Neptune, troisième opérateur sur le marché français de l’eau embouteillée. Elle a, depuis ses débuts, basé sa signature publicitaire sur le fait que son eau est une des moins chères du marché. Avec vingt pour cent de parts de marché, Cristaline occupe aujourd’hui le premier rang sur le secteur des eaux minérales.

La campagne Cristaline : la goutte d’EAU qui fait déborder la bouteille

Si jusqu’ici Cristaline avait fait de Guy Roux son emblème, évoquant ainsi sa radinerie et donc l’aspect économique de la marque, elle change aujourd’hui radicalement de ton. Le 8 janvier Cristaline lance une campagne d’affichage dont l’axe de communication principal est la promotion de la qualité supérieure de l’eau minérale par rapport à l’eau du robinet. Les trois différentes affiches remettent tour à tour en cause le goût, la potabilité et la provenance de l’eau du robinet. Cristaline choisit pour sa campagne un ton très provocateur. Bien que l’eau du robinet ne soit pas citée, le lecteur peut explicitement faire le lien. Visuellement parlant, les affiches sont conçues sur le même modèle : le 4 x 3 est divisé en deux parties.

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Sur le côté gauche, l’accusation accompagnée ou non d’une photo évoquant un des aspects négatifs de l’eau du robinet. De l’autre côté, la photo d’une bouteille d’eau Cristaline, apparaissant comme une réponse évidente au problème posé par l’eau du robinet. Ces affiches arborent un message et des photos simples, facilement compréhensibles par le citoyen. De plus, la simplicité du graphisme de la campagne reste en adéquation avec l’image première de la marque : une eau accessible à tous.

Les raisons du débat : la pEAUlémique

L’eau de Paris et le SEDIF tentent depuis de nombreuses années de convaincre le consommateur de la bonne qualité de l’eau du robinet, notamment par le biais de campagnes d’affichage. Cette action s’intègre dans une démarche nationale que les publicités de Cristaline remettent en cause.
De plus, Cristaline semble s’appuyer sur des éléments non fondés. Par exemple, l’eau issue du traitement des eaux usées n’est pas redistribuée aux contribuables, comme semble l’indiquer Cristaline.
Cette campagne va également à l’encontre des politiques en faveur de l’environnement, à l’heure où les associations et les pouvoirs publics prônent les gestes éco-citoyens.

La réaction des différents acteurs : de l’EAU dans le gaz

Nous pouvons identifier différents acteurs, que nous regrouperons sous les catégories suivantes :

  • Eau de Paris, se sentant menacée, interpelle le gouvernement afin que celui-ci prenne des sanctions à l’encontre de Cristaline. La société, en intentant une action en justice, défend ses propres intérêts.
  • Les institutions, telles que la Direction des Affaires Sanitaires et Sociales et le Syndicat de gestion et de distribution des eaux, sentent la qualité de leur travail directement remis en cause par cette campagne.
  • En parallèle, les acteurs suivants agissent en faveur du consommateur. Le ministère de l’écologie et du développement durable, craignant que la peur ne s’installe au sein des foyers les plus démunis, a largement diffusé des communiqués qui clarifient certains points (le goût chloré de l’eau, la production d’eau potable et la dépollution des eaux usées).
  • Les associations de développement durable – WWF, France Nature Environnement, Agir pour l’Environnement, Confédération Générale du Logement, Centre National d’Information Indépendante sur les Déchets, Résistance à l’Agression Publicitaire – réagissent, notamment face aux problèmes environnementaux engendrés par la surconsommation de bouteilles en plastique, par des communiqués de presse et l’organisation de manifestations.
  • Le Bureau de Vérification de la Publicité (BVP) a émis un avis défavorable quant à la diffusion de cette trilogie publicitaire, amenant Metrobus, gestionnaire d’espaces d’affichage, à censurer deux des visuels.

Le positionnement de Cristaline par rapport aux autres marques : nager en EAUX troubles

Les quatre thèmes les plus utilisés dans le secteur des eaux minérales sont la nature, le sport, la ligne et la santé (cf. notre dossier ). En analysant les différentes publicités, nous nous apercevons qu’elles véhiculent une image toujours positive (gens souriants, paysages verdoyants…) et un message optimiste. Cristaline innove et se place en marge des campagnes de publicité habituelles. Elle oppose à la vision parfaite du monde, créée par les eaux minérales, une vision négative de la réalité, dans laquelle le consommateur serait manipulé par les pouvoirs publics.
Elle se démarque également en présentant un aspect visuel terne, peu attractif, voire rebutant (cuvette de toilettes), en totale opposition avec les visuels traditionnels (montagne, lac, volcan…).

Une campagne EAUsée ?

Ne connaissant pas clairement les objectifs fixés par la direction de Cristaline pour cette campagne publicitaire, il nous est difficile d’émettre un jugement. Si le but premier de la campagne d’affichage était de créer du buzz afin d’augmenter sa notoriété, l’objectif a été atteint au vu des réactions suscitées. En revanche, l’aspect terne des visuels et le message négatif véhiculé ne contribuent pas à l’amélioration de l’image de la marque. Cristaline s’est appuyée sur des données non fondées (réutilisation des eaux usées par exemple), la société ne pouvait donc pas ignorer le soulèvement des acteurs concernés et les conséquences péjoratives pour son image. Nous supposons donc que cette campagne répond au premier objectif cité, qui est selon nous atteint. Toutefois, nous pouvons nous poser la question de l’impact d’une telle campagne sur l’augmentation du nombre de consommateurs et donc des ventes de la société Cristaline. En effet, ce buzz a surtout concerné les acteurs institutionnels, et peu le consommateur final, du fait de la courte exposition à la campagne (une semaine). Notre verdict : une très bonne opération de propagande mais qu’en est-il réellement des retombées économiques ?


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