Daniel Tirat : Communiquer notre engagement de manière pédagogique et ludique

Les 2 vaches est un bon exemple de marque engagée mettant le marketing au service de sa « mission » : faire évoluer la société vers un système agroalimentaire plus transparent, davantage porteur de sens et générateur de plaisir.

Bonjour Daniel Tirat, vous êtes le directeur général de Stonyfield France, l’entreprise qui commercialise les yaourts Les 2 vaches. Merci d’avoir accepté de répondre à nos questions sur la stratégie RSE de votre entreprise et les enjeux marketing et communication associés. Dans vos prises de paroles, vous expliquez que votre mission est de développer l’agriculture biologique, de montrer que cela marche économiquement pour faire bouger Danone (propriétaire de la marque) et l’ensemble de la société. D’un point de vue personnel, comment en êtes-vous arrivé à ce constat, à cette prise de conscience ?

Effectivement, Stonyfield France est là pour faire évoluer la société vers une autre alimentation, vers plus de sens et de plaisir. L’agriculture biologique est notre outil pour cela.

Sur un plan personnel, j’étais devenu père de famille et je commençais à consommer quelques produits biologiques, mais sans plus. Alors que j’étais en poste chez Danone, on m’a proposé de monter un business model différent centré sur la fabrication et la commercialisation de yaourts biologiques. Cela fait donc réellement quatre ans et demi que je suis dans le bio. Et je suis chaque jour plus convaincu !

Mon activité quotidienne me permet de mieux comprendre le monde agricole, celui de l’agroalimentaire. La révolution agricole de ces 40 dernières années a apporté des choses intéressantes mais d’autres sont allées trop loin. Je suis convaincu qu’il faut changer les choses : l’alimentation a pris des travers, des défauts graves qu’il faut corriger. Il faut remettre de la transparence, du plaisir et du sens.

Le patron de Stonyfield Farm aux USA, Gary Hirshberg est impliqué depuis 30 ans dans la promotion du bio, c’est une source d’inspiration fabuleuse. Finalement, je suis rentré dans l’agriculture biologique par défi professionnel et j’y reste par conviction et par plaisir.

Quand une multinationale rachète une PME responsable et innovante, les relations entre les 2 entités ne sont pas toujours simples et l’expérience a montré que la « flamme responsable » pouvait parfois être affaiblie voire s’éteindre. Bref, quelles sont vos relations avec Danone ?

La règle du jeu est très claire avec Danone : Stonyfield est une société à part entière avec un compte d’exploitation qui lui est propre. Nous maîtrisons notre stratégie, les relations avec l’ensemble de nos parties prenantes (en particulier les contrats avec les éleveurs), le marketing et la communication… Bien sûr, nous nous appuyons sur le groupe pour la production (nos yaourts sont fabriqués dans une petite usine Danone située à Molay, dans le Calvados) et la logistique.

Nous avons un rôle particulier au sein du groupe, celui d’agent perturbateur. Quand Franck Riboud rencontre Gary Hirshberg et lui propose de racheter la marque, il précise : « Ce n’est pas Danone qui doit normer Stonyfield, c’est Stonyfield qui doit faire changer Danone ». Nous sommes plus petits et plus réactifs, nous n’avons pas la complexité d’un grand groupe : nous devons jouer notre rôle de laboratoire. Notre objectif est double : faire de Stonyfield un véritable succès (pas un truc gentillet) et être générateur de nouvelles pratiques.

C’est normal dans un groupe comme Danone que toutes les personnes n’aient pas le même avis, comme dans la société. Souvent les gens ont une image un peu fausse des entreprises. Nous ne sommes pas tous du même avis mais nous partageons des valeurs communes. À l’intérieur du groupe, nous pensons bio, nous vivons bio, nous voulons mettre ça en avant… et nous le vivons bien ! Ce n’est pas toujours simple mais c’est plutôt agréable à vivre.

Ce rôle de laboratoire de pratiques agricoles responsables apparaît clairement dans votre action sur le bien-être des vaches…

Oui, notre action sur le bien-être animal est significative de la manière dont on travaille. Nous avons rencontré des représentants de l’ONG Compassion in Animal Welfare (CIWF) à l’occasion de la projection du film FOOD, Inc. sur le modèle agroalimentaire américain. Nous avons bavardé et on s’était dit que les enjeux étaient importants et que l’on pourrait commencer avec nos éleveurs.

Nous ne sommes pas des experts du bien-être des vaches, nous avons donc tout intérêt à travailler avec CIWF. De surcroît, nous partageons certains principes et valeurs : ils sont dans le changement concret et pas dans la facilité de la dénonciation. Alors que certaines ONG dénoncent les « méchants », eux cherchent à accompagner les industriels pour les aider à bouger, avec une politique des petits pas. De notre côté, quand on est arrivé sur le bio, on voulait encourager nos agriculteurs à nous rejoindre par le plaisir, pas par la culpabilisation.

Nous avons mis un an et demi pour construire le cahier des charges, le mettre en place, faire des audits. D’autres acteurs ont déjà travaillé sur cette problématique mais leur cahier des charges comporte 50 critères : c’est beaucoup trop compliqué. Nous n’en avons retenu que huit, faciles à expliquer aux consommateurs. Aujourd’hui, ce sont 14 exploitations qui sont intégrées à la démarche. Et à un moment du projet, nous avons mis Danone en contact avec le CIWF, en leur disant que c’était une ONG très pertinente. On joue notre rôle de laboratoire générateur de nouvelles idées et pratiques.

Quels sont les enjeux de communication sur ce type de démarches innovantes ?

Lors du lancement de la campagne de communication sur le bien-être, nous savions que certaines personnes trouveraient ça super et que d’autres seraient plus réservées. Quelqu’un ne sera pas content parce que ça caricature l’élevage conventionnel, un autre parce qu’il est végétarien : on parle du bien-être mais après les vaches seront mangées. Il y a plein de raisons de ne pas communiquer, certains jugeront que nous allons trop loin, d’autres pas assez. Si vous attendez de faire plaisir à tout le monde, vous ne faites jamais rien. Bref, c’est surtout une histoire de conviction.

En matière de communication sur la RSE, il y a écueils à éviter : lancer des actions minimes et faire une énorme campagne derrière (ça ne tient pas la route) ou faire de nombreuses actions pertinentes et ne jamais le dire (dans ce cas, vous cachez à vos clients qui vous êtes réellement).

Certaines entreprises ont de super démarches mais ont peur de communiquer dessus parce qu’il y a un petit défaut. Ce n’est pas bon, cela n’intègre pas la RSE à la démarche globale, ce qui est fondamental. Le consommateur ne veut plus qu’on le prenne pour un con, qu’on lui raconte des histoires trop faciles, des campagnes de greenwashing mal ficelé. Il comprend que ce n’est pas parfait, comme dans sa vie quotidienne. Mais il ne pardonnera pas une marque de ne pas être honnête, transparente.

Dès le lancement, nous savions qu’il faudrait passer du temps à expliquer cette action, au bon moment. J’en profite pour préciser que la pédagogie est intégrée à notre ADN. À l’origine, Stonyfield était un centre de formation à l’élevage biologique. Avec les vaches, ils ont eu du lait et ils ont décidé d’en faire des yaourts et de les commercialiser. La pédagogie est l’un des piliers de la marque. Tout ce que l’on entreprend, on se dit qu’il faut que l’on puisse l’expliquer. Pas trop tôt, quand on est prêt, mais il ne faut pas avoir honte de le faire.

Il faut bien faire la différence entre l’image et la réputation. L’image, c’est de l’auto-proclamation, c’est ce que vous dites de votre marque, de vos engagements. La réputation, c’est ce que les autres vont dire de vous. C’est vrai que de temps en temps certains vont réagir négativement mais cela va vous aider à bouger. Et ce sera toujours plus solide de que l’auto-proclamation.

Ce qui est important aussi, c’est que nous sommes convaincus que notre business model est le bon. Le bio grandira parce que ça fait du business compétitif. Les agriculteurs qui travaillent avec nous gagnent bien leur vie, c’est super. Aucun ne dit qu’il veut revenir en conventionnel. Il faut que ce soit comme ça dans l’industrie alimentaire.

Dans votre stratégie de communication, vous avez fait le choix d’utiliser l’humour dès le départ : pour quelles raisons ?

En 2004-2005, lorsque nous travaillons sur le projet de marque, notre objectif est de faire venir de nouveaux consommateurs aux produits labellisés AB. On ne peut pas se dire que l’on va simplement piquer des parts de marché aux autres marques positionnées sur ce créneau. Les marques pionnières en bio ont fait un boulot formidable de démarrage des filières. Avec notre ADN de maketeurs plus classiques et notre expertise Danone, nous décidons de mettre notre savoir-faire marketing au service du développement du marché.

Avec notre équipe projet interne et notre agence conseil (No good industry), nous décidons de partir sur une démarche convaincante, pas classique, plus ludique : nous voulons faire venir les gens au bio en étant pédagogique et ludique plutôt qu’austère et moralisateur. Nous suivons ainsi le chemin tracé par Ben & Jerry’s qui a été la première marque à la fois responsable et décoincée.

Nous mettons les outils marketing au service de notre mission. Nous choisissons une communication plus rigolote et plus pédagogique que précédemment. On arrive aux 2 vaches parce que ça permet d’être bavard : l’une sait, l’autre non. C’est très classique en marketing : cela permet de faire passer des messages, d’expliquer des choses. De surcroît, en France, il est primordial d’être bon, de proposer quelque chose d’agréable. Nos yaourts sont 30 % plus chers, il faut donc qu’on soit 30 % meilleurs : le plaisir à la hauteur du prix.

Nous nous servons de la publicité de manière tactique. Si on pouvait monter vite en notoriété sans publicité télévisé, on le ferait mais on n’a pas trouvé mieux. Alors on essaie de bien le faire. Mais en 20 secondes, vous n’avez pas le temps d’expliquer tout ce que vous faites, il faut forcément simplifier les choses. Il ne faut pas en avoir honte mais il faut reconnaître que le cœur de notre message n’est pas dans la pub. Nous préférons une construction de réputation plus sédimentaire à travers les réseaux sociaux, le site web, les relations presse. Là, c’est du solide. Ce travail de fond est plus stratégique.

Au final, quels sont les retours et quelles sont vos perspectives ?

Les consommateurs adhèrent. Les gens que l’on a fait venir au bio ont entre 25 et 50 ans, avec de jeunes enfants et habitent partout en France. Nous sommes contents car nous ne souhaitions pas nous enfermer dans le bobo parisien et nous voulions parler aux parents mais aussi aux enfants (c’est vrai qu’elles sont sympas nos vaches). Il apparaît que nos consommateurs sont investis dans l’alimentation, qu’ils ont envie de comprendre ce qui se passe dans la filière, ce qu’il y a derrière une étiquette… C’est vachement bien. C’est ceux-là qu’on arrive à convaincre. Ceux qui croient que tout le monde ment, que tout est pourri, on a du mal à leur parler.

La preuve de succès, c’est notre croissance, les gains de pénétration. Les résultats sont très positifs : + 30 % de croissance en 2011, + 20 % en 2012. Aujourd’hui, Les 2 vaches représente 0.5 % du marché des yaourts en France (soit 7 000 tonnes), 20 % sur le bio. Aux USA, Stonyfield représente 7 % du marché, avec 30 années d’expérience.

Cette campagne sur le bien-être des vaches a été notre seule prise de parole en publicité en 2012. Mais d’autres paramètres expliquent notre succès. Par exemple, nous avons remis de la framboise dans notre yaourt à la framboise et il se vend mieux !

Nous avons une belle marge de progression. Pour cela, il faudra convaincre toute la filière: consommateurs, éleveurs, vétérinaires, banquiers, pouvoirs publics, distributeurs… Aujourd’hui, le service rendu par les agriculteurs bio n’est pas rétribué. Le consommateur doit comprendre comment se décompose le prix de son yaourt. À ce titre, la publicité Système U sur le prix des lardons est intéressante : cela va dans le bon sens et de plus en plus de marques vont suive l’exemple.

Les agriculteurs ne sont pas que des menteurs et des pollueurs, même les conventionnels. Il faut comprendre leur métier, leurs contraintes. Je veux que tout le monde gagne bien sa vie et que le consommateur s’y retrouve par le plaisir, la transparence. Ce travail sur le partage de la valeur est super intéressant.


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