Le secteur du bâtiment et de l’immobilier est en première ligne des enjeux de transition écologique. Il représente 44 % de l’énergie consommée en France, loin devant le secteur des transports (31 %) [1]. C’est aussi le principal facteur d’artificialisation des sols : entre 2011-2021, 63 % de la consommation d’espaces est liée à la construction de logements [2]. J’ajoute que plus de 4 millions de personnes sont privées de logement personnel ou vivent dans des conditions de logement très difficiles [3].
Dans ce contexte, le public est en droit d’attendre des acteurs du bâtiment et de l’immobilier une communication exemplaire sur les impacts de leur activité et sur leurs engagements RSE et une posture de communication à la hauteur des enjeux et de leur responsabilité.
Pour ce nouveau numéro de la newsletter Greenwashing News, voici quelques cas de communications trompeuses dans ce secteur repérés parmi les avis du Jury de déontologie publicitaire ou les derniers bilans « publicité et environnement » ARPP-ADEME. Ce sont autant d’exemples à ne pas suivre.
[1] Dossier ADEME « Où en est la transition écologique du bâtiment et de l’immobilier ? », avril 2024.
[2] Note France Stratégie « Objectif Zéro Artificialisation Nette des sols », Novembre 2023.
[3] Fondation Abbé Pierre. « 29e rapport sur l’état du mal-logement en France 2024 », Janvier 2024.
Hectare : « empreinte durable », « quartier durable », « habitat responsable et inclusif »…
Hectare est une société de conception et d’aménagement de logements et de quartiers dans le Sud de la France. Pour promouvoir son offre de terrains à construire, l’entreprise a diffusé une affiche publicitaire qui montre la photographie en gros plan d’une empreinte digitale, accompagnée d’une interrogation : « Et vous quelle est votre empreinte ? » suivie de l’allégation « Votre terrain au cœur d’un quartier durable » puis du nom de la société et de la mention « Urbanisme durable ».
Cette publicité contrevient aux points 2 (véracité), 3 (proportionnalité), 4 (clarté du message) et 7 (vocabulaire) de la Recommandation développement durable de l’ARPP. Voici l’analyse du Jury de déontologie publicitaire suite au signalement d’un particulier :
- La notion d’ « empreinte », pourtant centrale dans le message, n’est définie à aucun moment ce qui empêche de considérer qu’il s’agit d’un argument publicitaire présenté de manière claire et précise.
- La phrase qui évoque un terrain « au cœur d’un quartier durable » n’est pas compréhensible dès lors qu’aucune précision ou explication n’est apportée pour que l’on comprenne en quoi l’action en cause visée par ledit message favoriserait le caractère « durable » dudit quartier.
- La référence à un « Urbanisme durable » accolée au nom de la société sans autre explication ni nuance constitue une formulation globale non justifiée et non relativisée.
- Le QR code permet bien l’accès au site de la société mais n’est pas de nature à expliquer, justifier ou même relativiser la formulation globale précitée. L’utilisation du terme « durable » dans le message est également de nature à induire en erreur le public sur la nature et la portée des actions de l’annonceur dans ce domaine.
5 mois après la publication de l’avis, je constate que la posture de communication de l’entreprise n’a pas évolué. Sur son site web, et en particulier sur la page « Empreinte », elle continue à utiliser de nombreuses allégations globalisantes et non justifiées :
- « Urbanisme durable » (baseline)
- « Une empreinte maîtrisée pour un habitat responsable »
- « Revendiquer pour cela une compréhension méthodique des enjeux garantissant la maitrise de notre empreinte et permettant de concevoir et réaliser un projet d’aménagement désirable, durable et démonstrateur »
- « Être garants d’un habitat responsable et inclusif »
- « Hectare dessine les quartiers d’aujourd’hui et de demain pour offrir à tous la possibilité d’habiter durablement notre monde »
- « Chaque projet est l’occasion de préserver la biodiversité »…
Source : Avis JDP du 5 août 2024
Pitch Immo : « immobilier responsable », « avenir durable », « impact positif sur l’environnement »
Cette publicité diffusée dans la presse magazine en juin 2022 pour la société Pitch Immo affirme qu’ « Investir dans un immobilier responsable, c’est garantir un avenir durable. » Le texte explicatif était le suivant : « Pitch Immo favorise la co-construction de ses projets avec tous les acteurs locaux. Au plus près des usages des habitants, son ancrage local enrichit efficacement et durablement le territoire social, économique et culturel. Soucieux d’avoir un impact positif sur l’environnement, ses réalisations immobilières respectent les plus hautes certifications environnementales. HUMAIN. LOCAL. QUALITÉ. DURABLE ».
Les allégations « immobilier durable », « DURABLE », « soucieux d’avoir un impact positif » ne respectent pas les points 3 (proportionnalité), 4 (clarté du message) et 7 (vocabulaire) de la Recommandation développement durable de l’ARPP.
Source : 11e Bilan publicité et environnement ARPP-ADEME 2023, page 23.
Kaufman & Broad : « construction durable », « constructions écologiques », « maintien de la biodiversité »…
Voici des extraits de deux messages publicitaires diffusées en radio fin 2023 par Kaufman & Broad, sous la forme d’un dialogue entre une personne journaliste et un représentant de l’entreprise. Vous noterez que les allégations fautives peuvent être prononcées par l’une ou l’autre de ces personnes.
« Bonjour [prénom] ! Alors, vous êtes Directeur Technique Construction Durable chez Kaufman & Broad. Et au jourd’hui vous allez nous parler de la construction durable et plus particulièrement du bois. » […] « Depuis plusieurs années, Kaufman & Broad s’engage pour lutter contre le réchauffement climatique et développe des projets de construction en y intégrant une part très importante de bois, qui stocke le CO2 et n’en émet pas. Ce qui en fait une ressource idéale pour bâtir des résidences à la fois au service du bien-être et de la santé et qui en plus respecte la planète. » […] « Kaufman & Broad réalise des constructions écologiques en maîtrisant les prix. »
« Bonjour [prénom nom] ! Vous êtes directeur RSE et Innovation chez Kaufman & Broad. » […] « Acheter dans le neuf, c’est aussi faire un investissement écoresponsable ? » « Absolument ! Nous nous engageons sur la réduction de l’empreinte carbone mais aussi le maintien de la biodiversité, l’économie circulaire, la préservation de la ressource en eau et puis évidemment, l’impact sociétal de la réalisation de logements qui sont en soi les bases de l’investissement responsable et durable. »
Les allégations « construction durable », « constructions écologiques », « respecte la planète », « maintien de la biodiversité », « préservation de la ressource », « investissement éco-responsable », « investissement responsable et durable » sont des formulations globalisantes sans nuance et sans explications. Elles ne respectent pas les points 3 (proportionnalité), 4 (clarté) et 7 (vocabulaire) de la Recommandation développement durable de l’ARPP.
Source : 12e Bilan publicité et environnement ARPP-ADEME 2024, pages 17 et 25.
Nexity : « nos logements sont durables »
Il s’agit d’une affiche montrant le visage d’un homme souriant accompagné des textes suivants :
- En accroche, en gros caractères : « Ce n’est pas demain la veille que vous allez investir dans un logement bas carbone. C’est maintenant »
- En dessous dans un encadré vert : « Investissez Nexity, promoteur n°1 de l’immobilier. Bâtiment bas carbone depuis 2018. Nos logements sont durables et abordables »
Suite à une saisine de ma part, le Jury a considéré qu’ « en l’absence de démonstration de la compatibilité de cette activité avec la préservation des ressources naturelles pour les générations futures, en sus des enjeux sociaux, sociétaux et économiques qui relèvent du développement durable, l’emploi de la formulation globale et non relativisée « Nos logements sont durables » ne peut être regardée comme justifiée. » Elle méconnaît donc les points 7 (vocabulaire) et 3 (proportionnalité) de la Recommandation « Développement durable ».
Source : Avis JDP du 4 mai 2022
Akera : « résidence éco-responsable »
En décembre 2020, le promotteur immobilier Akera a diffusé une publicité numérique montrant une image d’une résidence neuve accompagnée du texte : « Propriétaire à Poissy (78). Devenez propriétaire d’un appartement au sein d’une résidence éco-responsable à Poissy. »
L’allégation « une résidence éco-responsable » présente un caractère excessif, non proportionné (points 3 et 7 de la Recommandation DD sur la proportionnalité et le vocabulaire). En outre, le terme « éco-responsable », lorsqu’il peut être utilisé, doit être employé pour désigner une démarche ou un projet.
Source : 10e Bilan publicité et environnement ARPP-ADEME 2022, page 26.
Lafarge : « les bétons responsables », feuille d’un végétal dans le logo vert de la gamme de produits
Il s’agit d’une publicité de la société Lafarge diffusée sur LinkedIn en décembre 2021 pour promouvoir sa gamme de bétons de marque ECOPact. Elle montre trois images présentées côte à côte présentant une vue d’ensemble d’une ville sur fond de ciel bleu. Sur le visuel de gauche, un ensemble immobilier flotte dans les airs. Plusieurs textes accompagnant ces images, notamment : « Aujourd’hui la solidité d’un projet dans le bâtiment se mesure à la légèreté de son empreinte écologique. L’avenir sera Bas Carbone, construisons-le ensemble… #concrete #betonbascarbone #ecopact #construction », « ECOPact Les bétons responsables, c’est par ! », le terme ECOPact étant inscrit en très gros caractères, en vert, la lettre « O » étant conçue en utilisant la feuille d’un végétal.
À la suite de la saisine effectuée par mes soins, le Jury de déontologie publicitaire a confirmé que cette publicité ne respectait pas les points 7 (vocabulaire) et 8 (présentation visuelle) de la Recommandation DD de l’ARPP.
- L’ensemble de la gamme « ECOPact » est qualifiée de « responsable ». Cette formulation globale et non relativisée, appliquée aux produits promus eux-mêmes (« les bétons responsables »), n’est pas justifiable compte tenu de leur impact écologique au regard de l’intégralité de leur cycle de vie. […] Alors même que le public est informé, par des données chiffrées, des performances environnementales de la gamme de produits en cause et que le recours à ce type de béton apparaît préférable à l’utilisation de béton classique du point de vue de l’émission de gaz à effet de serre, une telle allégation, qui donne à croire au consommateur qu’il adopterait un comportement responsable en y recourant et tend ainsi à minimiser les conséquences de la consommation de béton.
- La lettre « O » du terme « ECOPact », reproduit en vert et en gros caractères, est conçue en utilisant la feuille d’un végétal. La publicité litigieuse ne procède pas à une assimilation directe entre le végétal et le béton. Toutefois, l’emploi d’un tel élément naturel apparaît en l’espèce disproportionné, voire de nature à induire en erreur le public, au regard de l’impact environnemental des constructions en béton, même en recourant à des solutions « bas carbone » comme celles dont cette communication fait la promotion. En particulier, il pourrait donner à penser au public que des matières végétales entrent dans la composition des bétons produits par l’entreprise, ce qui ne semble pas être le cas.
Source : Avis JDP publié le 1er avril 2022
AFIPEB : « construction durable », « empreinte carbone maîtrisée », logo représentant une maison avec une feuille
L’AFIPEB est l’Association Française de l’Isolation en Polystyrène Expansé dans le Bâtiment, « œuvrant pour des solutions innovantes et écologiques (sic) ». En septembre 2020, elle diffusait une bannière internet.
Les allégations « vos projets de construction durable » « empreinte carbone maîtrisée » présentent un vocabulaire excessif, non proportionné. En outre, le terme « durable », lorsqu’il peut être utilisé, doit être relativisé. En l’état, l’allégation devrait être nuancée par une formulation de type « vos projets de construction plus durable ». De plus, il faudrait inclure des éléments de justifications pour expliquer en quoi l’empreinte carbone est « maitrisée ». Enfin, l’utilisation d’un logo représentant une maison avec une feuille est excessive, pouvant induire en erreur sur le véritable impact environnemental des isolants en polystyrène expansé.
Source : 10e Bilan publicité et environnement ARPP-ADEME 2022, page 34.