Environnement et santé : le marketing et la pub sous pression

Ce mois de juin est marqué par la publication de plusieurs rapports ou études qui soulignent l’impact négatif des marques sur l’environnement et la santé et qui prônent des changements profonds dans l’offre des entreprises et dans la régulation publicitaire.

Il est important de souligner que, peut-être pour la première fois en France, cette pression provient de plusieurs « corps sociaux » différents : des ONG, mais aussi des citoyens, des scientifiques et des experts. Si les solutions proposées sont nuancées, les constats sont globalement partagés. Dans ces conditions, il est de moins en moins possible de les ignorer.

Nous verrons dans les semaines qui viennent si et comment les acteurs concernés (le Président de la République, le gouvernement, les parlementaires, toutes les entreprises, les agences-conseils, l’autorité de régulation, etc.) se mobilisent et réagissent à cette pression ou s’ils décident de la laisser monter encore…

 

Rapport « Pour une loi Évin Climat » : interdire la publicité des industries fossiles

Greenpeace France, le Réseau Action Climat et Résistance à l’Agression Publicitaire (RAP) se mobilisent pour réclamer une « loi Évin Climat », en référence à la loi de janvier 1991 qui encadre strictement la publicité pour l’alcool et le tabac. Les trois ONG ont publié le 18 juin un rapport qui présente le détail de cette mesure.

Selon un sondage BVA pour Greenpeace France, 65 % des Français·es seraient favorables à l’interdiction des publicités pour les marques contribuant au changement climatique.

Pointant du doigt le rôle majeur de la publicité sur la consommation et l’imaginaire collectif, le rapport développe l’idée d’une loi Évin Climat et insiste sur la pertinence d’introduire une interdiction de la publicité faisant la promotion de produits néfastes pour le climat en commençant par les secteurs de l’aérien, de l’automobile, du maritime et des énergies fossiles.

L’enjeu est de véritablement agir sur la perception culturelle et symbolique de ces produits. « Renoncer aux publicités liées aux énergies fossiles c’est aussi une manière de dire qu’on ne peut plus vendre du rêve aux consommateur·rices sur le dos du climat », explique Khaled Gaiji, porte-parole de RAP.

Télécharger le rapport « Publicité : pour une loi Évin climat ».

 

Rapport « Big Corpo » : encadrer la publicité et limiter l’influence des multinationales

Ce rapport a été publié le 9 juin 2020 par les Amis de la Terre France, Résistance à l’agression publicitaire (RAP) et Communication sans frontières (CSF), en partenariat avec l’ Observatoire des multinationales.

  • Les plus de 30 milliards d’euros annuels de dépenses de communication commerciale en France engendrent directement des phénomènes de surconsommation de produits controversés comme certains véhicules ou produits alimentaires.
  • Les campagnes de communication dites « corporate », de certaines industries sur leur « responsabilité sociétale », contribuent à façonner une image trompeuse dans l’opinion, pour protéger leur valeur financière et influencer les décideurs politiques.
  • Au-delà de son omniprésence dans l’espace public, le marché publicitaire permet aux annonceurs d’exercer une influence éditoriale réelle sur les médias et, par la publicité ciblée sur internet, d’organiser une surveillance de masse.

Le rapport formule plus de 20 propositions concrètes, selon 4 axes, pour réguler ces activités d’influence des entreprises et donner, dans le monde d’après, plus de place aux discours citoyens :

  • Redéfinir le cadre des activités publicitaires acceptables : protéger nos espaces publics, sanctuariser le secteur public ; protéger nos jeunes, notre « attention », nos données et nos espaces personnels ; adopter des « lois Evin » pour le climat et contre la malbouffe ; organiser la transparence sur les activités de communication et d’influence des entreprises.
  • Réguler les discours des entreprises dans l’intérêt général : une autorité indépendante pour réguler les contenus de communication ; remettre l’information au centre de la communication publicitaire ; réguler la communication produit pour lutter contre l’obsolescence ; réguler les discours sociétaux et corporate pour lutter contre le blanchiment d’image
  • Intervenir sur le terrain économique pour contenir le marché publicitaire : des plafonds de dépenses publicitaires pour lutter contre les oligopoles ; comptabiliser les investissements publicitaires pour taxer les marques ; pour une refiscalisation du marché de la communication commerciale.
  • Renforcer l’indépendance de la presse et la voix des associations : réformer les aides à la presse pour réaffirmer le soutien au pluralisme ; renforcer les voix singulières des associations citoyennes.

Pour en savoir plus : téléchargez le rapport « Big Corpo » ou sa synthèse.

Convention citoyenne pour le climat : interdire la publicité et mieux informer les consommateurs

Après neuf mois de travail, la Convention citoyenne pour le climat a remis ses propositions à Élisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire, le 21 juin 2020. Objectif : réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre, dans un esprit de justice sociale. Voici celles qui concernent directement le marketing et la publicité.

Thématique « Se nourrir »

  • Mieux informer le consommateur en renforçant la communication autour du Plan National Nutrition Santé Climat (PNNSC)Interdire la publicité sur les produits proscrits par le PNNS
  • Réformer le fonctionnement des labels en supprimant les labels privés et en mettant en place un label pour les produits issus de l’agriculture agro écologique
  • Informer les consommateurs du degré de transformation des produits, notamment via un étiquetage obligatoire

Thématique « Consommer » / AFFICHAGE – Créer une obligation d’affichage de l’impact carbone des produits et services

  • Rendre obligatoire l’affichage des émissions de gaz à effet de serre dans les commerces et lieux de consommation ainsi que dans les publicités pour les marques
  • Développer puis mettre en place un score carbone sur tous les produits de consommation et les services

Thématique « Consommer » / PUBLICITÉ – Réguler la publicité pour réduire les incitations à la surconsommation

  • Interdire de manière efficace et opérante la publicité des produits les plus émetteurs de GES, sur tous les supports publicitaires
  • Réguler la publicité pour limiter fortement les incitations quotidiennes et non choisies à la consommation
  • Mettre en place des mentions pour inciter à moins consommer

Découvrir l’ensemble des 149 propositions de la Convention citoyenne pour le climat.

 

Étude Santé publique France : restreindre le marketing alimentaire pour lutter contre l’épidémie d’obésité

« Le marketing alimentaire, en particulier celui des produits à faible intérêt nutritionnel et à haute densité énergétique, fait partie de l’environnement obésogénique qui est à l’origine de l’épidémie d’obésité observée au niveau mondial chez les adultes et les jeunes. »

« Les publicités vues à la télévision par les enfants, les adolescents et dans une moindre mesure par les adultes sont majoritairement des publicités pour des produits de Nutri-Score D et E« , c’est-à-dire de plus faible qualité nutritionnelle. »

« 87,5 % des publicités pour des produits Nutri-Score D et E sont vues aux heures où plus de 10 % des enfants et des adolescents regardent la télévision. La moitié sont vues entre 19h et 22h, heure où plus de 20 % des enfants et des adolescents sont devant la télévision. »

La loi Gattolin de 2016 interdit les annonces dans les programmes jeunesse des chaînes publiques. Mais cette étude montre que ces programmes représentent moins de 1 % du temps d’écran des enfants. La régulation publicitaire est donc inefficace.

Principale conclusion : « Ces résultats sont en faveur d’une restriction du marketing alimentaire pour les produits de faible qualité nutritionnelle, notamment à la télévision, aux heures où le plus grand nombre d’enfants et d’adolescents regardent la télévision. En outre, l’augmentation du temps passé sur Internet par les enfants et les adolescents laisse augurer une exposition bien plus massive aux publicités pour les PGSS, sans qu’il soit à ce jour possible de la mesurer mais pour laquelle l’encadrement semble tout aussi nécessaire. »

En savoir plus : Santé publique France, « Exposition des enfants et des adolescents à la publicité pour des produits gras, sucrés, salés« , 24 juin 2020

 

Rapport « Publicité et transition écologique » : imposer la neutralité climatique, organiser un Grenelle de la publicité, améliorer la régulation.

Ce rapport fait suite à un mission confiée le 20 septembre 2019 à Thierry Libaert et Géraud Guibert par la secrétaire d’État à la transition écologique et solidaire, sur le modèle publicitaire français afin d’en évaluer ses impacts économiques, sociaux et environnementaux. Il a été remis le 6 juin 2020.

Le rapport revient notamment sur le rôle de la publicité, son impact sur le climat et la biodiversité, le rôle économique du secteur publicitaire, la régulation de la publicité à l’internationale et sa prise en compte de la transition écologique… Les deux experts proposent une vingtaine de propositions concrètes, réparties en quatre domaines.

  • Mettre en place une stratégie de neutralité climatique : Prévoir un engagement de la profession d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 ; Fixer un engagement très actif des professionnels pour la généralisation du reporting climatique ; Faire en sorte que le secteur publicitaire élabore une trajectoire climatique ; Mettre en place un volet « climat » dans la recommandation « développement durable » de l’ARPP ; Faire élaborer par les parties prenantes une charte climatique pour la publicité audiovisuelle ; Mettre en place un visuel permettant d’identifier facilement les barèmes validés par les pouvoirs publics ; Prévoir une interdiction de la publicité dans les années précédant l’échéance prévue de disparition d’un produit ou d’un service ; Interdire la publicité tractée par voie aérienne et mieux faire respecter celle applicable aux camions publicitaires dédiés ; Mettre notre pays en situation d’exercer un leadership européen sur les relations entre publicité et climat, en particulier à l’occasion de la prochaine directive sur les automobiles.
  • Rendre plus cohérente la réglementation sur la publicité extérieure au regard de la transition écologique : Garantir l’extinction la nuit de tous les panneaux hors ceux figurant sur un équipement urbain d’intérêt public en fonctionnement ; Soumettre les publicités lumineuses à l’intérieur d’une vitrine mais visibles de l’extérieur aux règles fixées par le code de l’environnement ; Rendre plus efficace les sanctions contre l’affichage sauvage ; Expérimenter un dispositif « Oui pub ».
  • Relancer des initiatives pour une publicité plus responsable : Mettre en place un « Grenelle citoyen de la publicité et de la transition écologique » et, à défaut, confirmer l’organisation à brève échéance des Etats généraux de la publicité envisagés par la profession, avec un volet important sur des engagements en matière de transition écologique ; Faire adopter par la profession publicitaire des règles d’autodiscipline pour une fonction plus responsable ; Créer un fonds de compensation pour une publicité plus responsable ou une contribution pondérée selon les impacts environnementaux ; Créer un programme de formation à la transition écologique dans les études supérieures en communication ; Relancer l’ISO 26 000 appliquée aux métiers de la communication.
  • Améliorer les mécanismes de régulation publicitaire au regard de la transition écologique : Ouvrir la gouvernance de l’ARPP ; Améliorer les conditions d’utilisation de la procédure d’urgence de l’ARPP ; Renforcer l’impact des décisions du jury de déontologie de la publicité (JDP) ; Instaurer la fonction de coordinateur national des actions de communication des organisations ; Décloisonner la prise en compte du thème de la publicité dans les services de l’Etat.

Les auteurs soulignent également que « l’interdiction ne peut pas être la réponse unique et systématique aux questions posées par l’impact de la publicité sur la transition écologique. En économie de marché, il y a nécessité d’informer le consommateur. La publicité peut et doit en outre contribuer à l’évolution des comportements, y compris pour davantage de sobriété. L’horizon ne doit donc pas être un monde sans publicité. »

Pour en savoir plus, consultez le rapport de Thierry Libaert et Géraud Guibert « Publicité et transition écologique ».

 


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