Il n’y a pas de RSE sans communication

Amel Allik est chercheuse-consultante en communication et RSE. Dans cet entretien, elle nous explique notamment qu’il ne peut pas y avoir de RSE sans communication : la crise environnementale elle-même n’est pas constituée que de phénomènes physiques et la manière dont on parle de l’environnement a une incidence sur les attitudes, les comportements, les prises de décision et finalement sur l’avenir de la transition écologique. Amel insiste aussi sur le greenwashing : « un très bon exemple de comment la communication peut créer des représentations et des comportements défavorables à l’environnement, en banalisant les problèmes ainsi que les solutions. »

Amel Allik, bienvenue sur le site Sircome. Vous êtes chercheuse-consultante en communication et RSE. Quel a été votre parcours académique et professionnel ?

Bonjour Mathieu, je vous remercie pour votre invitation. Mon parcours s’est construit autour de deux passions : les représentations (notre manière de voir ce qui nous entoure) et les mots. J’ai d’abord suivi des études en sciences du langage, puis en sciences de l’information et de la communication. Dans un premier temps, je me suis intéressée à la communication interculturelle et touristique.

La communication environnementale s’est ajoutée à mes centres d’intérêts à l’occasion d’une expérience comme secrétaire d’une association de développement durable. J’ai commencé à me poser des questions sur les problématiques de greenwashing et plus globalement sur la manière dont les organisations communiquaient sur l’environnement. J’ai donc mené une recherche de doctorat sur ce sujet. À l’issue de ce projet de recherche, j’avais acquis une expertise dans la communication développement durable, et j’avais derrière moi différentes expériences notamment dans la formation et les études (enquêtes et sémiologie). C’est ainsi que je me suis dirigée vers une activité de recherche, formation et conseil en communication et RSE.

Sur quels sujets travaillez-vous en tant que chercheuse ? Qu’est-ce qui vous plaît dans l’articulation entre la communication et la RSE ? La communication a-t-elle un rôle particulier à jouer, et lequel, dans l’incontournable transition écologique ?

Mes recherches portent sur les stratégies de communication sur la crise environnementale dans les entreprises et les institutions. Je dis « crise environnementale » car c’est une expression qui permet de mieux comprendre de quoi on parle et d’avoir une vision globale et non fragmentée à la fois de l’origine des problèmes que nous vivons, de leur portée, et des solutions que les différents acteurs ont pu proposer depuis que nous avons « une conscience écologique ».

Quand on parle de communication et d’environnement, beaucoup de gens pensent : « peu importe les mots, l’essentiel c’est d’agir ». Pourtant, il ne peut pas y avoir de RSE, de développement durable ou de transition écologique sans communication. D’abord, la crise environnementale elle-même n’est pas constituée que de phénomènes physiques. Les discours de tous les acteurs en font aussi partie. Par exemple, quand on pense au réchauffement climatique, ce n’est pas que l’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre. C’est aussi les accords officiels, les prises de parole et les actions des militants écologiques (dont celles très actuelles de Greta Thunberg et du mouvement Extinction Rébellion), des politiciens, des scientifiques, des entreprises, des climato sceptiques et d’autres encore. Ces manifestations sont en interaction constante dans les médias, sur les réseaux sociaux, etc. Elles constituent la réalité du changement climatique pour nous.

Ensuite, tous ces discours orientent la manière dont on conçoit l’environnement, ses problèmes et ses solutions. La manière dont on parle de l’environnement a une incidence sur les attitudes, les comportements, les prises de décision, et finalement sur l’avenir de la transition écologique. Les chercheurs de l’association américaine de recherche en communication environnementale (The IECA) affirment dans ce sens que l’étude de la communication environnementale a pour objectif d’accompagner les acteurs de l’environnement et les preneurs de décision, afin de les aider à mieux choisir les mots qu’ils utilisent et à communiquer d’une manière plus efficace et plus favorable à la fois pour l’environnement et pour l’humain. En plus du choix des mots, la mise en scène du message à travers les stratégies discursives est tout aussi importante.

Pour prendre l’exemple des stratégies nationales de développement durable (SNDD) qui s’adressent aux administrations et institutions de l’État, celle de 2003 est un document long, avec des répétitions, beaucoup d’informations et un discours assez sombre. Les deux autres stratégies qui l’ont suivie ressemblent à des manuels avec des codes couleurs et sont construites autour d’axes ou de défis. Elles sont plus claires, plus aérées et plus attrayantes. La dernière adopte un ton assez optimiste et utilise la projection dans un avenir heureux et désiré. Derrière ces mises en scène, il y a une conception de l’environnement qui a évolué. La compréhension et l’incidence de ces stratégies n’est pas la même non plus.

Enfin, concernant la communication des entreprises, un professionnel du développement durable m’a affirmé, il y a quelques années, qu’on ne pouvait pas parler de stratégies de communication sur le développement durable car les entreprises ne communiquaient plus sur ce sujet. Cette affirmation étonnante renvoie dans les faits à deux choses. Quand on parle de communication développement durable ou RSE, on peut d’une part penser seulement à la communication publicitaire. D’autre part, on a tendance à associer cette communication au greenwashing. La communication RSE de l’entreprise est évidemment plus large que cela. Elle englobe par exemple une communication plus réactive, qui peut même répondre à une contrainte juridique, ou encore la communication entre les parties prenantes sans laquelle il ne peut y avoir de stratégie RSE. Une des questions qui se sont posées à moi très tôt concerne le pourquoi du greenwashing. Est-ce que c’est toujours issu d’une volonté de tromperie et de mensonge de la part des entreprises qui le pratiquent ? Nombre de chercheurs et de professionnels de la communication ont montré que la réalité est plus complexe que ça. L’intention ne change cependant pas grand-chose aux effets nocifs de cette pratique : induire le consommateur en erreur et transformer l’achat d’un produit ou d’un service en une action environnementale.

Le greenwashing est un très bon exemple de comment la communication peut créer des représentations et des comportements défavorables à l’environnement, en banalisant les problèmes ainsi que les solutions. Cette pratique fait l’objet depuis quelques années d’une régulation et d’une surveillance constante, et les entreprises ont compris qu’elle était contre-productive. Elle n’est plus aussi massivement utilisée qu’avant, mais nous rencontrons encore régulièrement des cas. Le Jury de Déontologie Publicitaire a par exemple récemment jugé fondée la plainte de France Nature Environnement et Halte à l’obsolescence programmée contre Five Guys pour son affiche qui affirme que son milkshake est « La meilleur chose qui soit arrivée à cette planète ». L’entreprise a présenté ses excuses, retiré son affiche, et fait valoir sa bonne foi. La communication RSE est un terrain miné et requiert beaucoup de prudence et d’humilité. Les faux pas, les maladresses et les risques de paraître sans être sont toujours possibles. Dans cette perspective, la communication RSE pousse à repenser la communication de l’entreprise et à l’inclure dans la réflexion plus globale sur sa responsabilité et le sens-même de son activité.

En quoi les facettes de vos activités comme consultante et comme chercheuse sont-elles différentes ? complémentaires ? antinomiques ?

Il y a d’abord un point commun sur la méthodologie. Le chercheur comme le consultant sont face à une question ou une demande qui n’est souvent pas claire et qui n’a pas de solution prédéfinie. Il est question de problématiser cette question, avant de constituer et analyser les données qui permettent d’y apporter un éclairage et de proposer des solutions.

La différence principale concerne le temps des projets et la profondeur du questionnement. Les projets de recherche sont généralement plus longs et plus poussés. En ce sens, la recherche constitue une mine de ressources pour le conseil. Par ailleurs, dans le conseil, quand je fais un audit ou que je propose une stratégie de communication par exemple, mon expérience de chercheuse me permet de prendre du recul et d’adopter une démarche scientifique et rigoureuse.

Pour terminer, vous avez récemment participé aux journées de lancement du Groupe d’études et de recherche « Communication, Environnement, Sciences et Société » (lire votre compte-rendu détaillé). Qu’est-ce que vous en retenez ?

C’était une belle occasion de rencontrer plusieurs chercheurs francophones qui travaillent sur la communication sur l’environnement et le développement durable, et d’appréhender la diversité et la richesse des travaux dans ce domaine. La recherche en communication environnementale permet de comprendre en profondeur les liens entre les problèmes environnementaux et les discours des différents acteurs en interaction. Cette compréhension est nécessaire pour la construction de savoirs et savoir-faire communicationnels qui peuvent contribuer activement à la transition écologique. C’est là l’un des objectifs de ce groupe.

Pour vous contacter : www.amelallik.com/Profil LinkedIn

 


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