Jacques-Olivier Barthes : construisons ensemble le futur

Jacques-Olivier Barthes est le directeur de la communication du WWF France depuis 9 ans. À moins de 80 jours de la COP21 à Paris, il nous présente les enjeux de communication sur le climat et la stratégie de l’ONG pour faire bouger les lignes, toutes les lignes. Tout en continuant de mobiliser les citoyens, il s’agit de faire évoluer l’offre des entreprises et la législation.

Bonjour Jacques-Olivier et bienvenue sur notre hub de réflexion sur la communication environnementale. Pouvez-vous nous décrire votre parcours ? Comment devient-on le directeur de la communication d’une grande ONG environnementale, le WWF France ?

J’ai suivi un parcours universitaire en sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Paris puis à l’Université Paris Panthéon-Sorbonne. J’ai commencé une thèse de doctorat sur l’affichage électoral que je n’ai pas terminée. J’ai ensuite obtenu un DESS en communication politique et sociale.

Parallèlement, j’ai commencé à travailler en 1993 au SIG, le Service d’information du gouvernement, d’abord comme rédacteur puis comme responsable de la revue de presse audiovisuelle. Puis, de 1998 à 2001, j’étais attaché temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) en sciences politiques à Paris 1. Ensuite, je suis devenu consultant en communication ; j’ai travaillé pour diverses agences avant de créer la mienne. J’ai rejoint le WWF France en décembre 2006 au poste de directeur de la communication.

Et comment expliquez-vous votre intérêt pour l’écologie ?

Mon père était chasseur : j’avais donc un rapport direct et régulier avec la nature. Et comme beaucoup d’autres jeunes de ma génération (nés en 70), j’ai été influencé par les documentaires animaliers et de découverte de la nature. J’ai aussi collectionné les vignettes d’animaux Panini-WWF ;-)

Plus tard, je me suis engagé en politique. D’abord dans le milieu d’extrême gauche (mouvance rouge et verte), puis le Parti socialiste et enfin chez Europe-Écologie Les Verts (de 2009 à 2011). Le sommet de Johannesburg en 2002 a joué un rôle important dans ma prise de conscience et ma compréhension des enjeux.

Quelles sont vos missions au WWF France ?

Je suis en charge de la communication externe, c’est-à-dire que je m’occupe des campagnes de plaidoyer et de la stratégie de promotion des messages du WWF dans les médias. Je suis régulièrement sollicité par mes collègues chargés de la collecte et de la communication vers les entreprises pour émettre des recommandations sur les actions envisagées et pour vérifier le bon usage de notre logo.

Par ailleurs, je représente la France au sein du Campaign Advisory Working Group qui détermine les grandes campagnes internationales de mobilisation. Ces campagnes de communication et de mobilisation sont souvent conçues en Angleterre ou aux USA. Mon rôle est de faire prendre en compte nos différences culturelles. Quand le WWF souhaite dire quelque chose de fort sur les atteintes à l’environnement, il faut le dire avec des codes qui font sens pour les publics. Il faut s’adapter au contexte culturel… et aussi au fait que les contenus en français seront 20 % plus longs que ceux en anglais.

Quelle analyse faites-vous des stratégies de communication des ONG environnementales françaises ? Comment se positionne le WWF ?

À l’exception des situations de pollution locale, toutes les questions environnementales sont complexes à traiter en termes de messages. En comparaison avec une communication produit ou même corporate, le bénéfice est difficilement appropriable par les récepteurs. Et depuis 30 ans, on annonce une dégradation des milieux naturels. Chaque citoyen considère que son action est une goutte d’eau dans un univers de dégradation.

En matière de communication, les ONG disposent d’une palette de message et de positionnement. Par exemple, la Fondation Nicolas Hulot et le Mouvement Colibris de Pierre Rabhi ont eu une approche de la communication assez individualiste, jusqu’en 2006-2007 (jusqu’au Grenelle de l’Environnement). Le message était que chaque citoyen peut changer les choses. Avec ses modes de consommation, le citoyen est acteur du changement à titre personnel. On propose une liste d’actions individuelles et la répétition et multiplication des actions amènera un bénéfice global.

Pourtant, les dégradations de l’environnement ont continué. L’effet de rebond par exemple n’avait pas été anticipé. Certes les produits verts sont moins impactants mais la consommation globale a augmenté. Au final, le bilan est négatif.

Par ailleurs, soyons lucides : on ne peut pas changer le comportement de 4 milliards de consommateurs lorsqu’un message environnemental est concurrencé par 200 messages publicitaires qui disent l’inverse.

Face à cet échec, les ONG environnementales et notamment le WWF ont mené une réflexion globale. La communication ne devait plus être (uniquement) orientée sur la demande mais devait aussi être focalisée sur l’offre. Ce qui est important, c’est de changer les règles de gouvernance et de transformer le marché. Nous appelons cela la Market Transformation Initiative. Il s’agit alors de travailler avec les acteurs économiques leaders, ceux qui font effet levier et qui impactent l’ensemble de la chaîne de valeur et de la chaîne de décision. Il ne s’agit plus simplement de faire un partenariat de mécénat avec une entreprise qui a une démarche environnementale. Nous voulons transformer certains secteurs clés (comme celui des matières premières) grâce à l’implication des acteurs incontournables.

Cependant, nous ne négligeons pas les consommateurs. Nous cherchons à utiliser la puissance marketing des marques pour changer les perceptions, puis les comportements. Ainsi, plutôt que de publier un guide pratique qui sera totalement noyé dans la communication publicitaire, nous préférons travailler sur des campagnes co-brandées avec certaines entreprises, avec des messages positifs. C’est ce que font très bien nos collègues du WWF Allemagne avec le partenaire Edeka, un des leaders de la grande distribution en Allemagne.

En décembre, la France accueille la 21e Conférence des Nations Unies sur le climat (COP21). De tels événements permettent-ils de mobiliser davantage les acteurs ?

Avec le sommet de Johannesburg, la charte de l’Environnement, le film d’Al Gore, le rapport Stern, le prix Nobel de la Paix pour le GIEC et Al Gore, le Pacte écologique, le Grenelle de l’Environnement… On a eu l’impression d’un processus inexorable de prise de conscience et de changements de société. Avant la Conférence de Copenhague en 2009 (COP15), toutes les ONG se sont inscrites dans la stratégie de l’ultimatum climatique : tout va se jouer là, il faut qu’il y ait un accord. Nous avons un rendez-vous avec l’histoire. C’est ce que l’on appelle la stratégie du momentum.

Hélas, malgré la mobilisation massive des citoyens, les rapports de forces entre États sont complexes. Certains sont imperméables à l’opinion. La conférence n’a pas débouché sur les résultats attendus. Ça a été la gueule de bois. Que faire lorsque tu n’obtiens pas ce que tu t’étais engagé à obtenir ? Il y a eu reflux des préoccupations environnementales dans la plupart des pays occidentaux après cet échec. Et depuis, la crise s’est installée…

Nous avons compris qu’une stratégie de communication où on se focalise sur l’événement et sur l’issue d’un processus de négociations est compliquée voire contre-productive. La stratégie adoptée est aujourd’hui différente. Nous partons du constat que la pression exercée par l’Homme sur la planète ne cesse de croître. Le changement de modèle économique et politique va donc se produire, c’est une fatalité car les limites de la planète nous l’impose Reste à savoir si nous allons changer de manière volontaire ou contrainte.

Certains décideurs politiques et acteurs ont conscience de la décision mais sont démunis : ils ne savent pas quoi faire. La plupart essaient de nier l’évidence, mais jusqu’à quand ?

Ce n’est pas très positif tout ça…

Justement, le message que nous adressons aux citoyens est le suivant : construisons ensemble le futur. On n’est pas écolo, on le devient. On tombe amoureux de la planète. C’est une démarche de moyen terme, un cheminement. Il est inexorable pour des raisons externes. Alors nous disons « rejoignez-nous sur ce chemin ». Nous n’avons pas le choix, pour que les générations futures aient un avenir. Mais on ne limite pas notre action à l’échelle individuelle.

Des ONG comme Greenpeace ont une posture de clivage : d’un côté les forces de la conservation, de l’autre celles de la transition écologique. Elles dénoncent avec raison certaines entreprises (naming and shaming). Nous préférons adopter une approche moins manichéenne et plus fédératrice. Dans nos messages, nous insistons sur le fait que nous pouvons tous faire partie de la solution au problème : citoyens, entreprises, pouvoirs publics.

Le visuel générique de notre nouvelle campagne, intitulée « Pandarévolution », illustre bien cette posture. Il s’agit d’une transposition du fameux tableau exposé au Louvre La Liberté Guidant Le Peuple d’Eugène Delacroix, bien connu des français mais aussi des publics étrangers. C’est un clin d’œil à la culture française, qui reprend et modernise les codes de la révolution et qui inscrit les jeunes dans cette dynamique, avec leur diversité et leur culture digitale. Le côté agressif a été gommé mais il reste encore une barricade qui traduit ce besoin de faire tomber certains murs, ensemble. C’est un appel à l’espoir pour dire qu’il peut se passer quelque chose de fort en décembre.

La campagne « Pandarévolution » insiste sur le volet mobilisation de tous les acteurs de la société civile et notamment les jeunes. Elle va courir jusqu’à la COP et comportera d’autres outils que cette affiche pour mobiliser le plus de jeunes possibles. D’ici là, deux autres campagnes vont être lancées :

  • une campagne de collecte à l’échelle nationale centrée sur la menace climatique à l’échelle planétaire ;
  • une autre de sensibilisation à l’échelle internationale, sur notre avenir et les générations futures.

En parallèle, le WWF est membre de la Coalition Climat 21, labellisée « Grande cause nationale 2015 ». Nous relaierons cette campagne qui vise à sensibiliser le plus grand nombre de citoyens à l’urgence d’agir pour le climat et à les inviter à rejoindre les mobilisations organisées par la Coalition.

Ces différents messages ne sèment-ils pas le doute dans la tête du public ?

L’approche balistique où l’annonceur matraque un seul message est dépassée. Aujourd’hui, nous sommes dans un contexte où un message est émis, reçu, puis approprié et réémis. Et la question climatique est complexe : c’est bien de l’approcher selon différents angles.

Les études que nous avons réalisées nous montrent que certaines personnes sont sensibles à la transition écologique, d’autres aux menaces climatiques, certains veulent parler du danger pour l’humanité et d’autres plutôt des animaux qui sont sans défense face à un bouleversement qui va entraîner la 6e extinction, et pour finir d’autres encore à la projection du monde qu’on laisse à nos enfants…

En ayant un seul message, on rate une partie des publics. La cohérence est dans le discours qu’on développe et la force de notre logo permet aux personnes de comprendre que la campagne se rapporte au WWF et donc à la protection de l’environnement.

Pouvez-vous nous dire quelques mots du concours « Creative awards by Saxoprint » ?

En 2014, les dirigeants de Saxoprint sont venus nous proposer cette opération : solliciter les écoles de création et les graphistes indépendants français pour susciter. Leur proposition était solide : de vraies dotations, de solides partenaires médias et la volonté de travailler sur un véritable brief.

Avant d’accepter, nous avons tout d’abord évalué l’engagement de cet imprimeur allemand. Ils ont des pratiques environnementales solides. Ce ne sont pas les meilleurs dans leur secteur mais ils ont un bon niveau. Et ils le reconnaissent.

Finalement, ce sont 800 créations qui ont été soumises par les créatifs. Certaines étaient intéressantes d’un point de vue publicitaire mais ne répondaient pas au brief. Elles ont donc été écartées par le jury. 40 visuels qui ont été présélectionnés par le jury et une dizaine de prix ont été attribués.

Nous sommes très contents de cette opération de communication. Nous le referons sûrement l’an prochain sur une autre thématique.

Pour terminer, pouvez-vous nous dire quelques mots de la campagne #EndangeredEmoji lancée récemment par le WWF à l’échelle internationale ?

Cette campagne vise à récolter des fonds à travers l’envoi d’émoticônes représentant 17 animaux menacés d’extinction. Chaque emoji en voie de disparition tweeté par les participants sera comptabilisé par WWF comme une promesse de don de 0,10 €. À la fin de chaque mois, les utilisateurs reçoivent un résumé et l’évaluation du montant de leurs promesses de dons. Il leur appartient ensuite de choisir quel sera le montant réel de leur don.

Cette campagne est une véritable expérimentation au niveau mondial. Les personnes âgées de 25-30 ans aujourd’hui ont un comportement de consommation de messages pas très éloignés du mien (46 ans). On arrive à les « travailler ». En revanche, nous avons du mal à entrer en conversation avec les digital natives, qui ont 20 ans ou moins comme mes enfants. Ils ont un rapport très différent au contenu. Alors nous testons des choses pour voir si on peut tisser un lien affectif avec eux.

Merci beaucoup Jacques-Olivier pour ce témoignage et ces explications. Nos lecteurs peuvent suivre l’actualité du WWF sur votre site www.wwf.fr.


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