La construction médiatique de l’environnement

Le terme environnement regroupe une multitude de significations qu’il est difficile de l’aborder sous une unique facette. S’il désignait au début du siècle le milieu naturel pour les biologistes, il a profondément évolué, et ce depuis les années 50, période à partir de laquelle les sciences naturelles ont accepté le paradigme des sociétés dans la notion d’écosystème. Cette double notion, l’une ancienne et scientifique et l’autre récente et sociale, contribue à la complexité d’une analyse des formes que revêt le concept d’environnement dans nos sociétés occidentales. D’une part, parce que l’environnement en tant que science est confronté à la difficulté d’évaluer le statut de l’homme par rapport aux autres êtres vivants ainsi que sa part de responsabilité dans les fluctuations des écosystèmes. D’autre part, parce que ce concept d’environnement est appréhendé selon les représentations sociales des individus fortement dépendantes de leurs caractéristiques culturelles, sociales et géographiques.

arton388

Lorsqu’on cherche à analyser les formes de conceptualisation de l’environnement dans les discours publics et particulièrement ceux des médias, cette polysémie du terme révèle deux types de paradoxe.
Le premier porte sur l’existence de l’environnement comme champ de représentation dans les discours publics. S’il s’impose de manière institutionnelle dans les champs politiques ou scientifiques, il n’est pas comme l’avait souligné P. Lascoumes ] une notion construite comme une entité globale dans les médias mais comme un patchwork d’objets et de questions très variés. Cette mosaïque d’items environnementaux n’est pas inhérente à la définition même de cette notion mais semble déterminée, selon E. Flath ], par des facteurs culturels puisqu’il existe une distinction très nette, relevée par l’auteur, entre la vision systémique de l’environnement diffusée par la presse allemande et l’approche événementielle des sujets environnementaux traités par les journaux français. Cette analyse de la presse française, que nous présenterons plus loin, trouve son intérêt non pas dans l’étude des caractéristiques culturelles mais dans l’évaluation des différentes configurations de l’environnement à travers un socle culturel commun mais selon des supports et des publics différents.

Le deuxième paradoxe se caractérise par une tension constante entre la nécessité de se référer à l’instance étatique pour gérer quotidiennement un environnement soumis aux contraintes humaines et la présence dans l’inconscient collectif de l’idée d’une Nature mère extérieure à l’homme et à l’origine de certains événements naturels. Le terme nature renvoie à une dimension spirituelle où la vision d’un milieu créé par Dieu conduit souvent à un naturalisme « naïf », voire à un fatalisme dans les représentations des phénomènes naturels.
Ces deux faces d’un environnement polysémique et complexe montrent l’intérêt d’analyser les articulations entre Nature et Politique dans les discours sociaux et d’en repérer les enjeux selon les modalités d’inscription de ceux-ci dans l’attention publique. Ces enjeux sont d’autant plus importants que l’environnement est un domaine parmi d’autres qui peut mobiliser l’action citoyenne –individuelle ou collective – dont les formes peuvent découler de la construction sociale des questions environnementales.
A ces deux paradoxes, s’ajoute également l’idée –discutée dans le champ scientifique- que l’environnement serait sensiblement teinté d’anthropocentrisme et que chaque élément du milieu serait ramené inéluctablement à un objet central, l’homme en l’occurrence. Cette dimension anthropocentrique trouve ses origines, selon Dominique Bourg ], dans la religion judéo-chrétienne où la valorisation de l’individu est affirmé par l’unité et l’universalité du genre humain devant Dieu. A cet héritage du judéo-christianisme, s’ajoute la conception de la déclaration universelle des droits de l’homme où l’approche humaniste envisageant l’être humain comme la seule fin en soi montre une certaine spécificité du fait social indiquant la supériorité de la culture sur la nature. Catherine Larrère ] évoque même le terme de sociocentrisme où ce n’est plus l’homme qui est au centre dans le rapport de celui-ci à son milieu mais la société.

Bien que ce concept paraît indépassable parce que l’approche politique ou scientifique des milieux naturels et des organismes qui y vivent est entièrement conceptualisée par l’homme en dépit du souci d’objectivité, la question est de savoir si cet anthropocentrisme est seulement constitutif de la définition de l’environnement ou s’il n’est pas renforcé par la médiatisation des discours portant sur ce thème.

L’industrialisation de l’information, l’importance des parts de marché pour les annonceurs conduisent à une valorisation de l’individu dans le but d’une identification des récepteurs aux messages diffusés.

L’approche théorique

Toutes ces caractéristiques propres à la notion même d’environnement prennent sens dans une étude des discours sociaux qui prennent l’environnement comme objet. A cela s’ajoutent les caractéristiques spécifiques aux formes de ces discours, à leurs supports et aux stratégies de communication déployées par les médias. En effet, ces derniers circonscrivent l’espace de discussion et d’argumentation et sont dépendants d’une représentation de l’espace qu’ils observent et dont ils contribuent ainsi à la construction. Ils structurent leurs discours selon un cadre qui est déterminé par l’identité des récepteurs et selon leurs propres représentations et valeurs de l’espace qu’ils observent. Ainsi, comme le rappellent Bernard Delforce et Jacques Noyer ], le journaliste est « dépositaire, comme tout autre individu, de schèmes culturels et de grille de perception qui configurent son expérience sociale et conditionnent ses modes d’intervention professionnelle ». Ces schèmes de perception sont, pour une part, en adéquation avec ceux des récepteurs visés puisque toute communication sociale exige un minimum de communauté partagée pour que les récepteurs puissent se reconnaître et s’inscrire. Eliséo Véron ] parle même de « construction de collectifs » qui engendre chez le public un sentiment d’appartenance à la communauté produite par chaque média. Elle repose sur un consensus implicite des intérêts et de l’imaginaire des récepteurs et sur une reconnaissance intersubjective liée aux cadres identitaires. Dans ce processus d’identification collective, le journaliste adopte une posture discursive en même temps qu’il construit celle du public visé, différente du public réel en chair et en os. C’est ainsi l’image de l’émetteur appelé encore énonciateur et l’image du récepteur nommé destinataire qui se dessinent dans les discours.

C’est dans ce type d’approche que le concept de « contrat de lecture » proposé par Eliséo Véron ] trouve ses marques puisqu’il prend en considération le contexte social de la réception pour construire l’image du public visé. C’est un concept à la fois opératoire et théorique qui rend compte, dans le cas de notre recherche, de la manière dont les médias structurent leurs messages sur l’environnement. L’analyse des stratégies communicationnelles déployées par chaque journal nous renseignera sur le sens que ces mêmes médias accordent à la notion d’environnement et sur la construction publique des problèmes écologiques et de leurs enjeux.
Mais cette notion d’environnement étant très composite, il faut faire la distinction entre notre approche –celle du chercheur en sciences sociales qui, pour définir le terme environnement, doit impérativement recenser, classer et catégoriser selon des critères purement scientifiques- et celle des journaux de presse écrite et audiovisuelle qui font appel à des logiques de construction sociale différentes de nos pratiques. Ainsi, face à la question des enjeux environnementaux, nous pouvons définir trois problèmes permettant chacun de répondre à la question de recherche.

Le premier qui concerne la polysémie de l’environnement présuppose que la thématisation ou la mise en perspective d’un thème reliant des événements entre eux est un des facteurs de mise en visibilité des enjeux écologiques. Cette thématisation très liée aux cadres d’argumentation qui circonscrivent les discours dépend de la manière dont les locuteurs, en fonction des supports, du public et des items proposés, cataloguent les sujets environnementaux.

Le deuxième problème porte sur le naturalisme et son influence dans l’idée même d’enjeux environnementaux car montrer ces enjeux c’est accepter de considérer que la nature devient sociale et qu’elle est un objet politique. Le sentiment naturaliste présent dans de nombreux courants écologistes et qui perdure à l’état latent dans l’esprit collectif conduit à un certain fatalisme et effacerait toute possibilité d’action de l’homme sur son milieu.

Le dernier problème, enfin, repose sur le lien entre la visibilité de ces enjeux et les positions des locuteurs envers les instances politique et scientifique mais aussi à l’égard des idées et des valeurs écologistes qui s’inscrivent dans les débats relatifs aux problèmes environnementaux. En tenant compte du fait que l’état a une place dominante dans la gestion sociale et scientifique des questions environnementales, c’est dans une perspective d’analyse des rapports institutionnels que l’on peut se représenter l’espace public construit par chacun des médias, espace public où se déterminent la place et le rôle laissés à chacun des acteurs et la nature des enjeux écologiques véhiculés par les médias.

Le corpus

L’objet de l’analyse étant la présentation des informations environnementales dans les médias généralistes, notre choix s’est plutôt porté sur les journaux d’informations générales de TF1, France 2, France 3 ainsi que sur la presse quotidienne représentée par Le Monde, Le Figaro, Libération, Le Parisien et France Soir.

Par ailleurs, c’est à partir d’une définition très large de l’environnement –tout ce qui touche au cadre physique de l’homme mais qui inclus un rapport explicite ou non à la nature- que nous avons recensé toutes les thématiques environnementales pendant un mois (15 janvier au 13 février 1996) en prenant soin de retranscrire dans leur intégralité la totalité des extraits télévisés recueillis pendant cette période.

L’analyse et l’interprétation des événements communs à tous les médias (la construction des pistes cyclables à Paris, les inondations dans l’Hérault, la pollution atmosphérique et la loi sur les biocarburants) mettent en évidence à la fois ce qui est commun à l’ensemble des journaux et qui serait en étroite relation avec les perceptions culturelles de l’environnement en France et les spécificités propres aux quotidiens et à leurs stratégies de communication.

Une vision polysémique de l’environnement

Bien qu’un mois constitue une période assez courte pour pouvoir prétendre à une analyse quantitative qui serait précise et exhaustive, il est en revanche assez aisé de tirer des conclusions relatives quant à la part des sujets environnementaux dans les médias. En fait, trois points importants soulignent les résultats de notre analyse quantitative.

Le premier montre que le thème de l’environnement ne représente que 2 % en moyenne de la totalité des informations de la presse écrite et 15 % pour la télévision. Le choix de considérer une définition assez large de l’environnement et de ne pas seulement limiter le recensement aux articles des rubriques « environnement » lorsqu’elles existent montre que ce thème est faiblement représenté par les médias généralistes.
Le deuxième point porte sur l’absence de corrélation directe entre la situation conjoncturelle et la nature des sujets recueillis au cours de cette période. Il n’y a pas d’agenda médiatique qui consisterait à fixer une hiérarchie entre les sujets environnementaux mais les médias attirent l’attention sur quelques événements particuliers puisque sur 180 items diffusés, 4 seulement sont communs à l’ensemble des journaux. Néanmoins, lorsqu’une occurrence apparaît comme un événement dans l’espace public, elle est diffusée de manière récurrente et influe directement sur la répartition catégorielle des sujets environnementaux (c’est l’exemple des inondations).

Enfin, la catégorisation des thématiques permet de souligner des différences entre les éditions d’une même chaîne et entre les quotidiens de la presse écrite dont les causes sont à chercher en partie dans les représentations sociologiques du lectorat ou des téléspectateurs. Une connaissance précise des récepteurs apporterait une compréhension plus grande aux constatations qui découlent de notre analyse et qui seraient liées aux compétences, attentes et intérêts du public. Les sujets de politique environnementale et d’énergie, par exemple qui sont diffusés en grande partie par les quotidiens « élitistes » (Le Monde, Le Figaro, Libération) et par les éditions télévisées de soirée nécessitent un regard plus critique et plutôt collectif sur les enjeux. On constate, à l’inverse, que l’approche régionale des informations télévisées de 13 heures favorise au contraire la conception et la diffusion d’items dénués de tout enjeu. C’est le cas des sujets nature (faune, flore, catastrophes naturelles) qui ne sont jamais montrés sous un angle « critique » comme l’avaient déjà noté C.-M. Vadrot et M. Déjouet ] et qui se retrouvent davantage dans les éditions de 13h et dans les quotidiens dits « populaires » (Le Parisien, France Soir). La loi de 1976 sur la protection des animaux et du patrimoine, selon ces auteurs, a contribué à faire penser que le problème des espaces naturels et des espèces protégées était réglé. C’est donc souvent sous le mode de la contemplation que sont traités les sujets sur les animaux et les végétaux et de la désolation lorsqu’il s’agit des événements naturels.

L’environnement ne renvoie donc pas à une entité spécifique et n’est donc pas doué d’une structure lorsqu’il est construit socialement par les médias. L’absence d’un champ de représentation, qui se confirme par l’absence de journaliste spécialisé en environnement ou de rubrique propre à ce domaine (les sujets sont traités par le service d’informations générales) s’explique par le fractionnement des thématiques où chaque événement apparaît dans une situation de crise et ne renvoie que rarement à une problématique d’environnement globale. Lorsque celle-ci existe, comme c’est le cas pour la loi sur l’air qui regroupe dans notre corpus le projet des pistes cyclables, la pollution atmosphérique et les biocarburants, on constate que la mise en perspective d’une problématique est caractéristique d’une part de la nature du public ciblé par le journal (présente particulièrement dans les quotidiens élitistes) et d’autre part dépend de l’ordre de succession des événements dans l’espace public. En effet, la télévision et la presse écrite possèdent une certaine mémoire à situer les occurrences dans leur contexte, à les mettre en relation avec des événements qui ont été portés récemment dans l’espace public.

Un naturalisme sous-jacent

La notion d’environnement étant un compromis entre nature et politique, le cas des inondations est l’exemple type du thème qui traduit à la fois l’expression d’une approche mythique de la nature et une conception politique où la gestion des inondations serait prise en charge par l’homme. Dans l’esprit collectif, les visions sociales de l’environnement sont imprégnées du sentiment naturaliste qui rejoint de très près la vision mythique de la nature dans laquelle les civilisations anciennes se sont construites. De même, les croyances religieuses, comme l’affirme O. Godart ], trouvent aussi leur quête dans une nature créée par Dieu et où les phénomènes géophysiques sont perçus comme des phénomènes contredisant l’ordre immuable. Ainsi, les catastrophes naturelles contiennent des peurs et des croyances ancestrales où elles sont, au sein de l’imaginaire collectif, le rappel d’un état primitif de l’homme dans une nature mythique et archétypale. L’analyse du traitement médiatique des inondations démontre le maintien de cette vision fataliste du monde où l’idée d’une nature puissante domine dans les discours télévisés et la presse écrite populaire (France Soir, Le Parisien). Les expressions irrationnelles au phénomène des inondations telles que « la nature a perdu le sens de la mesure » (France 2), « mieux vaut prier et regarder le ciel avant qu’il ne vous tombe sur la tête » (Le Figaro), « les éléments se sont déchaînés » (Le Monde), viennent appuyer un discours rationnel, voire scientifique sur l’origine naturelle et climatique des inondations.

Mais si le terme « impuissance » qui est récurrent dans l’ensemble des discours est assez révélateur d’un naturalisme sous-jacent, il traduit aussi une dramatisation voulue de l’événement par l’utilisation de stratégies de captation d’un lectorat sensible au catastrophisme, quelque soit son profil socio-culturel. Le canal image, outil capable de répondre à ces objectifs, vient renforcer l’idée de fatalisme en terme d’action environnementale au dépend d’une réflexion sur la prévention et la gestion des inondations : ces images utilisées par la télévision et par la presse écrite (à l’exception du journal Le Monde) laissent peu de place à la responsabilité humaine. Pourtant, les sciences de l’environnement inclus très logiquement les préoccupations liées aux risques naturels dans les problèmes d’environnement dans la mesure où l’action de l’homme est en cause soit parce qu’elle augmente les probabilités d’occurrences de ces phénomènes (incidences par exemple des modifications du climat sur les avalanches ou les inondations), soit parce qu’elle aggrave les conséquences humaines (par exemple, à travers des constructions dans les zones à risques sismiques). Seul le journal Le Monde, partagé entre une vision naturaliste des inondations et une approche socio-économique qui marque habituellement les sujets traités par ce quotidien, montre une mise en perspective de l’événement où le fait ne se réduit pas à sa simple occurrence. Les inondations sont l’objet de rapport d’autorité entre des acteurs sociaux, politiques et économiques représentés respectivement par les écologistes, les collectivités locales et les promoteurs immobiliers. En revanche, il semble paradoxal que le journal Libération occulte toute dimension politique des inondations alors que sa vision critique des problèmes d’environnement est une spécificité de son identité et de son positionnement par rapport à la concurrence. En fait, la définition qu’accorde Libération à la notion d’environnement serait probablement liée à une construction institutionnelle où les inondations n’entreraient pas complètement dans le cadre politique définit par le ministère de l’environnement.

Relation entre pouvoir institutionnel et médias

Il y aurait donc une relation très étroite entre la construction politique de l’environnement par le ministère en charge de ce domaine et la construction médiatique des questions environnementales. Dans l’analyse du traitement des inondations, la faible apparition ou l’inexistence des mots « environnement » et « écologie » dans les discours, l’absence de perspective environnementale ainsi que la référence aux collectivités locales et au ministère de l’équipement dans la gestion de cette crise montrent que la question des inondations ne relèverait pas d’une problématique environnementale gérée par le ministère. Cette notion qui est entendue comme un objet de l’action politique du gouvernement influerait sur les cadres d’interprétation des journalistes et serait uniquement associée dans l’esprit des producteurs médiatiques aux termes de « dégradation » ou de « protection » de la nature comme c’est le cas des sujets sur la pollution atmosphérique et les biocarburants.

En absence de toute référence au ministère de l’environnement, la construction médiatique des sujets dépendra de la ligne éditoriale du journal ou de la chaîne télévisée. Le thème des pistes cyclables, par exemple, qui n’a pas de dimension environnementale à l’instar des inondations, est perçu dans les discours de France 2 comme un projet qui vise à partager l’espace public alors que pour TF1, il a pour objectif de réduire l’insécurité des cyclistes. Si l’idée de partage est consensuelle pour l’une et conflictuelle pour l’autre, c’est que chaque ligne éditoriale se fonde sur des représentations différentes du social à travers lesquelles elles construisent leur collectif de récepteurs.

Cette vision institutionnelle et politique de l’environnement présente dans tous les médias généralistes est étroitement liée à l’importance de l’état dans la gestion politique et scientifique des questions écologiques, comme l’avait souligné J. Theys ]. L’état fortement différencié de la société civile détient, selon l’auteur, le monopole de l’administration, la nature devient ainsi de plus en plus une norme de l’action politique. Dans le traitement médiatique des thématiques environnementales, le fait que les personnes interviewées relèvent tous du domaine public (médecins des hôpitaux publics, ingénieurs ADEME, Chef Météo France, hydraulicien au Conseil Général, directrice des études à Airparif, etc) vient confirmer ce rôle imposant de l’état. Les médias ne sont alors que le relais d’un discours institutionnel où les tenants et les aboutissants des questions environnementales ne dépendent que du pouvoir politique. L’absence d’une action citoyenne, dans tous les discours de la presse, s’explique par des schèmes culturels où prédomine dans le conscient collectif une gestion exclusivement étatique des questions environnementales. Le thème de la pollution atmosphérique en est un exemple assez révélateur dans la mesure où les médias excluent l’idée d’une responsabilité de l’automobiliste et préfèrent évoquer les solutions politiques ou techniques lorsqu’elles existent. Mais pour ce thème précis, les deux grandes chaînes concurrentes adoptent une posture sensiblement différente à l’égard des institutions politiques. Pour TF1, une forte dénonciation des pouvoirs publics où les critiques sont souvent prétextes à porter des accusations sur la société « technocratique » dénote une approche populiste des événements. A France 2, en revanche, s’oppose une vision du monde fondée sur une action plus collective où les pouvoirs publics sont dans la possibilité de répondre aux besoins.

L’analyse du traitement médiatique montre que ces décisions publiques s’appuient très souvent sur un discours scientifique dont les acteurs dépendent des organismes publics. Le lien très étroit entre le discours scientifique et le discours politique résulte du fait que les recherches en environnement sont souvent commandées par des institutions dépendantes de l’état et qu’elles répondent à la fois des préoccupations des individus et celles des politiques. Ce qui justifie, dans le cas des chaînes publiques (France 2 et France 3), le recours à une argumentation exclusivement politique et sociale dont la légitimité du scientifique servira surtout à poser les termes du débat environnemental. Dans le cas de TF1, à l’inverse, la science est circonscrite dans son espace de recherche et de production de savoir bien qu’elle reste sous la dépendance financière et réglementaire des administrations publiques et des pouvoirs politiques.

Si dans les discours médiatiques sur l’environnement, le statut de l’instance scientifique, différent selon les journaux, est déterminé par des logiques de confrontation institutionnelles entre les acteurs du champ médiatique et ceux du champ scientifique, le niveau technique du discours est en revanche influencé par les compétences supposées des récepteurs, étroitement liées à leur profil socioculturel. Ces différences entre les médias s’expliquent aussi en partie par les nombreuses incertitudes qui marquent les sciences de l’environnement dont les causes sont inhérentes aux objets de recherche et à leur méthode d’analyse. Le fait que l’environnement manque d’un corps théorique et scientifique suffisamment structuré influence la nature du débat démocratique proposé par les médias. En effet, la limitation du savoir scientifique dans le domaine de l’environnement, les difficultés de communiquer un savoir disciplinaire très spécialisé et la surdétermination des discours par des logiques institutionnelles indiquent que le débat démocratique se situe moins dans la présentation des faits objectifs que dans des conflits de valeurs et des problèmes d’éthique. L’exemple de la pollution atmosphérique montre bien que les décisions relatives à l’environnement ne sont pas seulement dépendantes des conclusions scientifiques mais sont surtout des arbitrages entre des valeurs portées par les intérêts des différents groupes de pression que sont les constructeurs automobiles, les pétroliers et les associations écologiques.

Dans ce rapport science-politique-média, entre en compte un autre critère qui est celui de l’éthique de l’environnement qui passe par un souci moral de la nature. Cet amour de la nature, comme l’affirme Luc Ferry ], se compose en fait de passions démocratiques partagées par beaucoup d’individus qui souhaitent éviter une dégradation de leur qualité de vie. C’est ainsi que la notion d’environnement construite par les médias se résume très généralement au cadre de vie, concept moderne apparu avec les revendications des consommateurs. Cette approche anthropocentrique véhiculée et renforcée par les médias dans la mesure où les événements communs sont étroitement liés aux actions humaines (les pistes cyclables, la loi sur les biocarburants) ou aux conséquences que l’homme peut subir (pollution atmosphérique, inondations) privilégie, d’une part les satisfactions apportées par les consommations modernes liées à nos modes de vie et d’autre part les événements qui se déroulent à l’intérieur de nos frontières. Cette notion d’environnement qui se construit ainsi quotidiennement dans les médias et qu’on retrouve en filigrane dans des événements anodins est très éloignée d’une conception globale et systémique de l’environnement développée en Allemagne.

Comme le préconise C. Larrère ], une réflexion sur l’éthique de l’environnement s’impose où le souci moral de la nature doit comprendre celui du développement de l’humanité.


Publié

dans

par

Étiquettes :