La DGCCRF intensifie ses actions contre le greenwashing

Comme je le rappelais dans le précédent numéro de Greenwashing news, plusieurs lois françaises et directives européennes ont été votées ces dernières années pour réglementer plus efficacement les allégations environnementales. 

En parallèle, j’ai constaté que la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) avait intensifié ses actions contre le greenwashing et le faisait savoir. 

Quel que soit leur secteur d’activité ou leur taille, les entreprises ne peuvent plus ignorer que la prévention des allégations environnementales trompeuses est devenue un enjeu réglementaire, avec des risques significatifs en cas d’écart. 

Dans cette newsletter, je rappelle les modalités et les conséquences d’un contrôle DGCCRF et je souligne les enseignements de deux grandes enquêtes réalisées récemment. Les anomalies relevées le plus fréquemment sont la mise en avant d’allégations globalisantes, non justifiées, imprécises, ambiguës ou contraires aux dispositions légales. Je présente aussi les différents outils pédagogiques mis à la disposition des entreprises. 

Pour conclure, vous découvrirez le témoignage d’Ambroise Pascal, délégué à la transition écologique au sein de la DGCCRF. La création de ce poste au printemps 2023 est un signe supplémentaire de l’importance nouvelle accordée à cette thématique.

Les contrôles de la DGCCRF et les suites possibles

La DGCCRF est une direction du ministère de l’Économie, des Finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Ses grandes missions sont les suivantes (la lutte contre le greenwashing est présente dans trois d’entre elles) :

  • Protéger les consommateurs et leur sécurité, en sanctionnant les pratiques commerciales déloyales, les tromperies et les fraudes, en contrôlant la conformité et la sécurité des produits non alimentaires et les services.
  • Assurer la loyauté des relations commerciales entre les entreprises, en luttant contre les pratiques anticoncurrentielles qui nuisent au bon fonctionnement des marchés.  
  • Lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
  • Contribuer à la définition de la position française dans les discussions européennes et internationales sur les sujets relatifs à la consommation et à la concurrence : règlements ou directives européens, traités, accords commerciaux… 

Les contrôles des allégations environnementales sont essentiellement appréhendés sous l’angle de la lutte contre les pratiques commerciales trompeuses. Les inspectrices et inspecteurs s’assurent que les allégations sont véridiques, ne contiennent pas d’informations fausses, sont présentées de manière claire, spécifique, exacte et qu’elles sont étayées par des preuves. Pour certaines allégations, il s’agit également de vérifier que l’information que le professionnel est tenu de communiquer est présente ou non (comme la quantité de matière recyclée incorporée dans un produit). 

Les inspectrices et inspecteurs analysent l’information sur le produit, l’étiquette et l’emballage, mais aussi toute la communication commerciale : fiche produit, publicité, site internet, réseaux sociaux, catalogue, affichage en vitrine, publicité en magasin…

Un contrôle peut avoir plusieurs suites : 

  • Suite pédagogique : rappel de la réglementation en vigueur (en particulier dans le cas de nouvelles règles).
  • Suite corrective : injonction au professionnel de retirer les allégations trompeuses.
  • Suite répressive : amende administrative et/ou procès verbal pénal, avec possible transmission au parquet ou négociation d’une amende transactionnelle. 

Une autre suite possible est la publication de l’infraction sur le site web de la DGCCRF et sur le site de l’entreprise. Cela a été le cas récemment pour une entreprise spécialisée dans la vente en ligne d’articles de matelas qui utilisait notamment des allégations trompeuses sur le caractère « écologique » de certains matériaux (cf. le post d’Arnaud Gossement). L’impact de ces publications sur la réputation de l’entreprise peut avoir un poids considérable, parfois plus important qu’une amende, et la DGCCRF y recourt de plus en plus. 

Capture d’écran du site d’une entreprise sanctionnée pour greenwashing. Le communiqué de la DGCCRF est affiché sur bandeau noir, sur toutes les pages.

  

Grande enquête anti-greenwashing : 25% d’allégations trompeuses  

En 2021 et 2022, la DGCCRF a réalisé une première grande enquête sur la loyauté des allégations environnementales utilisées pour valoriser les produits non-alimentaires et les services, ainsi que sur la loyauté des labels présentés comme écologiques. Les résultats ont été dévoilés en mai 2023. 

Les enquêtrices et enquêteurs ont contrôlé sur tous types de support les allégations environnementales de produits divers comme les cosmétiques, les textiles, les produits d’ameublement, les jouets, les emballages de denrées alimentaires, mais également de prestations de service comme l’hôtellerie ou la blanchisserie.

Bilan : sur 1100 établissements contrôlés, un quart étaient en anomalie. Ces anomalies correspondaient à la mise en avant d’allégations globalisantes, non justifiées, imprécises, ambiguës ou même contraires aux dispositions légales. De nombreuses allégations étaient susceptibles de tromper le consommateur, voire contraires à la réglementation spécifique à certains produits.

  • Allégations globalisantes. Une très grande proportion des allégations rencontrées était « globalisantes », c’est-à-dire ne renvoyaient pas à un impact environnemental particulier mais suggérait plutôt un bénéfice global pour l’environnement : par exemple « respectueux de l’environnement », « écologique » ou « éco- responsable ». 
  • Allégations non justifiées. Certains professionnels apposent des mentions valorisantes sans justification : provenance locale de leurs produits (sans élément de preuve), contribution à une cause particulière (comme la mention « pour chaque pot [de miel] vendu, un don est reversé à l’association [X] qui lutte pour la sauvegarde des abeilles » alors qu’un seul don avait été fait par l’entreprise en 2016) ou réduction d’impact (comme un pommeau de douche dans un hôtel « permettant 30 ou 40 % d’économie d’eau » sans étude justificative).
  • Allégations imprécises ou ambiguës. Allégations susceptibles d’induire en erreur le consommateur sur l’impact environnemental réel. Exemples : un tuyau d’arrosage avec la mention « PVC recyclé » sans préciser la quantité effective de matière recyclée incorporée dans le produit alors que c’est obligatoire ; des allégations sur la compostabilité d’emballages en matière plastique qui ne sont compostables que dans un contexte industriel, ce qui n’est pas autorisé ; l’utilisation de mentions « matières premières qui respectent à 100% la nature » ou « zéro déchet » sans préciser si cela faisait référence à la fabrication ou à l’utilisation du produit…
  • Allégations environnementales contraires aux dispositions légales. Il a par exemple été constaté la mention « des produits encore plus respectueux de la planète » et divers logos verts sur des produits chimiques alors que la réglementation européenne et nationale interdit ce type de mention pour ces produits.

Suite à ces contrôles, les enquêtrices et enquêteurs de la DGCCRF ont dressé 141 avertissements, 114 injonctions et 18 procès-verbaux pénaux ou administratifs selon leur gravité. Dans une très large majorité, les entreprises ont procédé à une remise en conformité en modifiant ou en supprimant les allégations trompeuses. 

Les résultats complets de cette enquête sont consultables sur le site web de la DGCCRF

Exemples d’allégations environnementales trompeuses

  

Textiles et chaussures : de nombreuses allégations globalisantes et non justifiées 

En préparant récemment une formation à la communication responsable pour les membres du groupe de travail « RSE Chaussure » de CTC Groupe (acteur international en contrôle qualité et développement durable pour le cuir, la chaussure, la maroquinerie et l’habillement), j’ai découvert une autre enquête intéressante de la DGCCRF. 

Le secteur des textiles et des chaussures a fait l’objet d’une vaste enquête en 2022-2023, dont les résultats ont été publiés en juin 2024 sous le titre : « Derrière l’étiquette : la sécurité et la loyauté des textiles et chaussures »

Cette enquête menée auprès de 808 entreprises a consisté à contrôler l’étiquetage et le marquage de composition des produits, la sécurité des produits (notamment sur le plan chimique) mais aussi les allégations commerciales et environnementales.

Sur le volet écoblanchiment, les principales anomalies relevées sont les suivantes : 

  • Utilisation fréquente d’allégations environnementales globalisantes et non justifiées : « fabrication du cuir respectueuse de l’environnement », « cuir ou daim écologique », « 100 % bio », « 100 % éco-responsable », « éthiques », « respect de la planète », « à faible impact écologique », « écoconception, recyclée et recyclable, réparabilité, l’énergie utilisée est renouvelable à 100 % », « viscose responsable », tissu « Econyl » prétendument « régénéré et durable fabriqué à partir de filets de pêche et de tulle recyclés »… Par ailleurs, de nombreux petits importateurs négligent les autocontrôles et s’en remettent parfois à des labels (« certification GOTS », « label Oeko-Tex ») délivrés en amont, sans en faire contrôler la réalité par un tiers.
  • Allégations imprécises : des matières recyclées étaient alléguées sans mention de leur pourcentage dans la composition globale. 
Exemples d’allégations trompeuses dans le secteur de la chaussure

  

Des guides et conférences pour sensibiliser le public et les professionnels 

Le guide pratique du CNC sur les allégations environnementales

La dernière édition de ce guide datait de 2012. Publiée en juillet 2023, peu après les résultats de la grande enquête anti-greenwashing, cette nouvelle version est le fruit d’une concertation étroite et d’un consensus entre des représentants des professionnels et des représentants des consommateurs qui participent au Conseil national de la consommation (CNC), organisme paritaire consultatif placé auprès du ministre chargé de la consommation.

Destiné aux consommateurs, ce guide entend donner des clés de compréhension des différentes allégations utilisées. Conçu également comme un outil de référence pour les professionnels, il doit leur permettre de communiquer de façon précise, fiable et délivrer au consommateur des informations considérées comme pertinentes.

Il est structuré en deux parties. La première partie décrit le cadre juridique applicable. La seconde présente les recommandations du CNC pour l’utilisation volontaire par les professionnels de différentes allégations environnementales.

Couverture du Guide pratique des allégations environnementales

  

Conférence dédiée pour les entreprises 

En avril 2024, Zouber Maouze, Inspecteur de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, a assuré une conférence lors du salon Go Entrepreneurs sur le thème de la lutte contre le greenwashing. 

La conférence « Allégations environnementales : ne tombez pas dans le piège ! » est disponible en replay. Zouber répond aux questions suivantes :  

  • Qu’est-ce qu’une caractéristique environnementale d’un produit ? 
  • Qu’est-ce qu’une allégation environnementale ? 
  • Quelles sont les différences entre une information et une allégation 
  • Quelles sont les questions à se poser et les erreurs à éviter pour une allégation environnementale loyale ? 
Capture d’écran de la vidéo sur les allégations environnementales

  

Contenus pédagogiques pour le grand public  

Biologique, durable, recyclable, écoconçu… Alors que les mentions environnementales se multiplient sur nos vêtements, cosmétiques ou produits ménagers, la DGCCRF a publié en septembre 2024 plusieurs contenus à destination du grand public. Comment reconnaître les produits qui utilisent à tort ces allégations ? Comment éviter les pièges de l’écoblanchiment ou du greenwashing ? Comment être assuré des qualités écologiques d’un produit ? 

Capture d’écran du magazine Consomag sur le greenwashing

  

Interview d’Ambroise Pascal : « la lutte contre l’écoblanchiment doit s’élargir à des formes plus diffuses »  

Ambroise Pascal, délégué à la transition écologique à la DGCCRF, a accepté de répondre à mes questions. 

Quel est le rôle de la DGCCRF en matière de lutte contre l’écoblanchiment ? 

C’est d’abord d’enquêter pour protéger les consommateurs. La campagne 2023 sur les allégations environnementales a montré des anomalies chez 25% des 1 317 établissements visités. Elle a conduit à ce jour à 181 avertissements, 198 injonctions et 25 procès-verbaux. Les constats ont surtout porté sur des allégations globalisantes (imprécises, ambiguës), non justifiées ou contraires à une obligation légale, et sur le non-respect des obligations d’information sur les caractéristiques environnementales des produits.

La DGCCRF accompagne aussi les entreprises et les consommateurs (fiches pratiques, interventions à des congrès, sur les réseaux sociaux, services RéponseConso et SignalConso…) pour que chacun y contribue. Par exemple, elle a animé les travaux du Conseil national de la consommation ayant permis la mise à jour en mai 2023 du Guide pratique des allégations environnementales. Vous découvrirez aussi cette semaine plusieurs nouvelles animations à ce sujet sur les réseaux sociaux.

Comment ce rôle évolue-t-il ces dernières années ? Comment voyez-vous la suite ?

En amont des contrôles, il y a l’élaboration du droit. Ces dernières années la loi a évolué pour mieux encadrer voire interdire certaines allégations. Nous avons renforcé les contrôles, mais aussi la cohérence d’approche entre secteurs.

Les évolutions à venir se jouent surtout au niveau européen. Nous avons piloté la négociation sur la directive « Transition écologique », qui va permettre de qualifier plus facilement des pratiques trompeuses, et participons à celle sur la directive « Allégations environnementales », qui imposera notamment des contrôles de vérificateurs tiers indépendants et plus de transparence sur les preuves scientifiques. La mise en œuvre est pour 2027.

Enfin, je crois que la lutte contre l’écoblanchiment doit s’élargir à des formes plus diffuses, pas seulement sur des produits mais aussi sur des entreprises, des pratiques de consommation… tout aussi susceptibles d’influencer les normes du marché, les représentations sociales et in fine les consommateurs. On pourrait aussi se poser la question des allégations hors d’un contexte commercial (sur un site de recrutement par exemple), mais là nous sortons de notre champ !

Quelles sont les principales difficultés auxquelles sont confrontés les inspectrices et inspecteurs de la DGCCRF ?

D’abord ce n’est pas la même chose de sensibiliser des PME avec une approche pédagogique, et d’enquêter plusieurs mois sur des fraudes délibérées ou des filières internationales. Il y a plusieurs métiers derrière celui d’inspecteur !

Aujourd’hui on traite bien le bas du spectre, les allégations injustifiées, mais quand on nous oppose une expertise c’est logiquement plus compliqué. C’est bon signe, cela peut signifier que les professionnels ont étayé leur propos. Mais ce n’est pas toujours le cas, il faut se donner les moyens de le vérifier, faire appel à des expertises… Il n’y a d’ailleurs pas toujours de consensus scientifique. Il y a aussi de plus en plus de données à recouper.

La directive « Transition écologique » mentionne aussi les caractéristiques sociales des produits, ce qui permettra un contrôle plus complet des allégations liées aux politiques « RSE ». Cela supposera de nouvelles pratiques d’enquête, de nouvelles coopérations. Par exemple, un contrôle de cohérence entre l’information du consommateur et le reporting extra-financier pourrait être utile.

Ambroise Pascal, délégué à la transition écologique à la DGCCRF

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