Le changement climatique dans les médias

Le sommet de l’ONU sur le climat (Copenhague 2009) approche et suscite l’agitation de tous les acteurs concernés. En parallèle, la « pause » du réchauffement climatique fait beaucoup parler d’elle dans les médias avec, en France, Claude Allègre en première position. Dans ces conditions, il est intéressant de présenter les résultats de travaux de recherche qui analysent la manière dont les médias traitent la question des changements climatiques.

En 2008, Anabela Carvalho a édité un ouvrage intitulé « Communicating Climate Change: Discourses, Mediations and Perceptions » qui analyse trois aspects de la communication :

  • les discours de différents acteurs (des scientifiques aux religieux) sur cette thématique,
  • la reconstruction de ces discours par les médias,
  • les perceptions et attitudes du public relativement aux changements climatiques.

L’ouvrage est accessible gratuitement en ligne et nous en présentons ici quelques éléments.

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Le cas particulier du réchauffement climatique

En introduction d’un article, d’un reportage ou d’une chronique, tout bon journaliste cherche à répondre aux six questions incontournables : qui, quoi, quand, comment, où et pourquoi ? Mais comment faire avec le thème du changement climatique ? Échelles de temps et d’espace variables, relations causes-effets non linéraires, manifestations incertaines, multiples sources de responsabilités… Répondre aux six questions de manière simple et courte est impossible ! Par certains aspects, ce thème ne devrait pas être attractif pour les journalistes et pourtant, il s’est imposé dans les rédactions.

D’autres aspects le rendent attractif pour les professionnels des médias. C’est en particulier le cas des impacts attendus : une telle échelle, un tel degré de gravité (qui vont bien au-delà de tout ce qui a été vu jusqu’à lors), le nombre de personnes affectées, l’étendue des dommages, le potentiel de perturbation de la vie telle que nous la connaissons aujourd’hui.

C’est aussi le nombre d’acteurs ayant parlé « au nom » du changement climatique ces 20 dernières années. La communauté scientifique a créé la problématique sociale du changement climatique en collectant, interprétant et communicant les données qui suggéraient une relation entre les concentrations en gaz à effet de serre dans l’atmosphère, la température moyenne du globe et les sources humaines d’émission de gaz à effet de serre. Le processus politique qui a suivi a compté un certain nombre de sommets internationaux, qui ont engagés divers acteurs politiques, économiques, ONG…

Depuis plusieurs années, des événements de portée internationale ont propulsé le problème du changement climatique à la une des agendas médiatique, politique et sociétal (des agendas qui se nourrissent mutuellement) : l’ouragan Katrina, le film d’Al Gore, les rapports du Groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le prix Nobel de la paix 2007, le rapport de l’économiste Stern en 2006 sur les coûts de la lutte contre le réchauffement climatique ou de l’inaction… Dans le monde entier, les populations connaissent l’effet de serre et se disent inquiètes des conséquences de ce réchauffement global. Le réchauffement est l’un des enjeux majeurs pour les sociétés contemporaines.

L’influence des médias

De nombreux travaux de recherche montrent que les perceptions et les attitudes du public relativement à l’effet de serre peuvent être « influencées » de multiples manières par les médias de masse.

Plusieurs études montrent que les connaissances scientifiques des citoyens sont majoritairement acquises grâce aux médias et beaucoup moins par l’expérience personnelle ou l’éducation. La science est en effet une forme codifiée de savoir qui nécessite d’être « traduite » pour être comprise et il est acquis que les médias de masse jouent un rôle important dans cette « traduction ». C’est d’autant plus le cas pour des problèmes qui n’ont que de faibles conséquences tangibles pour les individus. En effet, la plupart des gens n’ont aucune expérience concrète du réchauffement climatique : même en cas de forte chaleur ou d’inondation importante, ils sont dépendants des médias pour relier ces événements extrêmes au réchauffement global. Ainsi, les médias aident à généraliser les expériences personnelles et à traduire la science dans le langage courant.

Un autre effet des médias est bien connu depuis les années 70, il s’agit de la « mise sur agenda » des problématiques environnementales (agenda-setting). Cette théorie postule que la hiérarchisation de l’information forme l’opinion publique, plus que les contenus des médias eux-mêmes : si les médias ne nous disent pas ce qu’il faut penser, ils nous suggèrent ce à quoi il faut penser. En d’autres termes, les médias auraient le pouvoir d’attirer l’attention du public sur le réchauffement global.

De surcroît, l’angle choisi par les journalistes joue également un rôle important. On pourrait qualifier cela d’un effet de mise sur agenda de second ordre. L’angle adopté souligne, de manière explicite ou non, certains aspects d’un problème complexe (pourquoi ce problème est-il important ? qui est responsable ? quelles pourraient être les conséquences ?). Ainsi, la manière dont les médias dépeignent le réchauffement global a un effet important sur la compréhension du problème par le public et, par conséquent, sur les actions qui pourraient être mises en œuvre au niveau individuel.

Par ailleurs, les médias jouent un rôle certain dans la construction sociale des risques. Les théories de la perception des risques ont montré que la peur des citoyens concernant un problème augmente avec leur perception du nombre de personnes qui sont exposées à ce problème. De plus, les craintes du public se portent davantage sur les risques qui sont mal connus, invisibles et qui ont un fort potentiel catastrophique. Le problème de l’effet de serre réunit toutes ces caractéristiques et les médias peuvent facilement amplifier les peurs éprouvées par le public en généralisant les expériences perçues et en choisissant tel ou tel angle.

Les médias jouent ainsi un rôle important dans la manière dont le public perçoit le problème du réchauffement global. Il est donc tout à fait pertinent de se focaliser sur les médias et sur la manière dont ils traitent la question des changements climatiques. Les analyses de contenu de la communication sur le changement climatique ont majoritairement porté sur la presse anglo-saxonne. Plusieurs résultats intéressants en résultent.

La recherche du « reportage équilibré » entraîne un biais important

Premièrement, les chercheurs ont montré que la quête du « reportage équilibré » avait entraîné un biais important dans le traitement médiatique du réchauffement global. En effet, au lieu de traiter les faits de manière proportionnelle aux preuves disponibles, les journalistes donnent la même importance aux arguments pour et contre.

Une étude de la presse américaine de prestige de 1988 à 2002 a montré qu’il y avait une divergence entre les discours populaires et scientifiques sur le réchauffement global et que cette divergence était en partie due à l’adhérence des journalistes au principe du reportage équilibré. Ils ont tout d’abord montré que la majorité des articles accordait la même attention aux avis en faveur d’un réchauffement anthropogénique et à ceux prônant une variation naturelle du climat. C’est une forme de biais dans l’information puisque la grande majorité des scientifiques partagent l’idée que les activités humaines participent à l’effet de serre. Ainsi, les journalistes peuvent donner vie à des controverses qui sont pourtant éteintes depuis bien longtemps au sein de la communauté scientifique.

Ensuite, il apparaît que 8 articles sur 10 présentent de manière équilibrée les deux options possibles pour lutter contre le problème : « les actions volontaires seront suffisantes » et « les mesures contraignantes sont nécessaires ». Il s’agit d’un autre biais puisque, là encore, le consensus scientifique est indiscutable sur le fait que des actions immédiates et contraignantes sont nécessaires.

L’insistance des médias américains sur l’incertitude scientifique a été prouvée dans d’autres recherches. Par exemple, une étude de la presse nationale de 1985 à 1995 a montré que les scientifiques étaient moins cités comme source que les non-scientifiques (comme les politiques ou les groupes d’intérêts). À cause de ce déséquilibre dans les sources d’information, trop d’importance est généralement accordée à l’incertitude scientifique sur le réchauffement climatique. Une recherche menée sur la presse britannique montre que l’importance donnée à l’incertitude scientifique dépend grandement des journaux considérés.

Finalement, la recherche de ce double équilibre, dans la presse américaine, donne la parole à une minorité de sceptiques et accorde autant d’importance au témoignage d’un scientifique qu’à quelqu’un qui ne l’est pas. Pourtant ces avis ne sont pas du tout équivalents dans le débat qui a lieu au sein de la communauté scientifique. De plus, il est systématiquement sous-entendu qu’il demeure de l’incertitude scientifique. Ces biais ont permis à l’administration américaine de rejeter sa responsabilité dans le réchauffement climatique et de retarder la prise de décisions, en attendant, soi-disant, plus de certitude.

Cette emphase sur l’incertitude scientifique n’est pas sans conséquences sur les perceptions du problème par le public. Des chercheurs ont ainsi montré que les lecteurs d’articles accentuant la controverse ou l’incertitude étaient moins convaincus du réchauffement global.

La dramatisation des reportages

Un second résultat intéressant est que les médias, en général, cherchent à dramatiser leur discours. Des chercheurs ont montré que les journalistes cherchaient à raconter des histoires à propos du réchauffement global et que la construction de ces histoires est guidée par des considérations dramatiques. Les médias ne veulent pas seulement couvrir des histoires excitantes, ils veulent construire ces histoires comme excitantes. Dans cette recherche du drame, notamment aux USA, les journalistes vont se focaliser sur les conflits entre les « défenseurs du climat » et les « sceptiques » ou ceux « qui disent toujours non » (naysayers).

Des recherches montrent que les médias britanniques vont un cran plus loin en utilisant un ton alarmiste (cf. ). Le réchauffement global est majoritairement décrit comme une menace catastrophique et incontrôlable. Par exemple, une étude a montré que, dans les comptes-rendus des réunions du GIEC, les discours alarmistes et fatalistes étaient plus fréquents que les discours mettant en avant l’emprise sur le phénomène, la possibilité d’agir. Le vocabulaire de la catastrophe, de la peur, du désastre et de la mort semble être dominant dans les médias en Grande Bretagne. Les journalistes se justifient en expliquant que ce type de discours attirera l’attention du public sur le problème.

Le problème est qu’un tel discours dramatique et alarmiste des médias peut être contre-productif vis-à-vis de l’effet recherché, qui est de sensibiliser la population au problème (les « rapprocher » du problème) et les inciter à changer de comportement. Insister sur le conflit entre les scientifiques engendre plus d’incertitude chez le public. Un discours alarmiste peut provoquer une mise à distance du problème. La théorie de la « motivation à l’autoprotection » postule que quand les gens sont confrontés à un problème qui fait peur mais pour lequel des solutions existent, ils seront motivés pour changer leur comportement. Inversement, si la menace est bien plus grande que la possibilité de faire quelque chose, cela peut engendrer le rejet des mesures proposées. Ainsi, en présentant le réchauffement global comme une menace incontrôlable et extrême, la population pourrait avoir l’impression que le problème est tout simplement trop important pour être combattu et que les actions individuelles sont vouées à l’échec. De surcroît, apporter la preuve de l’effet positif des éco-gestes, quand ils sont mis en œuvre fréquemment, augmente la « quantité de décisions » que les gens font en faveur de l’environnement. Enfin, les recherches montrent que les stratégies de communication basées sur la peur n’atteignent généralement pas leur objectif de changement de comportements. Au lieu de rapprocher les gens du problème, le discours alarmiste les en éloigne…

L’importance des points de vue idéologiques

Un troisième résultat intéressant concerne l’importance des valeurs morales et des idéologies. Ce filtre idéologique explique les différentes interprétations du savoir scientifique sur le changement climatique par les médias. À travers l’analyse d’articles de trois quotidiens britanniques publiés entre 1985 et 2003, des chercheurs ont montré que les journaux soulignaient différents aspects du débat sur le réchauffement global et assignaient des crédibilités différentes aux acteurs, le tout en cohérence avec leur préférences politiques. L’idéologie a ainsi des implications pour l’interprétation des faits, c’est un facteur important qui intervient dans le choix des experts et contre-experts.

Une autre recherche montre que la presse « de gauche » reconnaît l’existence du problème et appelle des actions individuelles et des innovations pour y faire face alors que la presse « de droite » traite également le problème mais avec scepticisme, ce qui affaiblit le problème et le minimise. Ainsi, le filtre idéologique joue un rôle dans la manière dont la problématique du changement climatique est construite dans la presse.


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