Le risque inondation dans la presse locale

Dans son hors-série de décembre 2011, la revue Vertigo présente deux recherches qui analysent la manière dont les fleuves et le risque d’inondation sont mis en mots et en images dans la presse locale et un journal municipal.

Séverine Durand
Quand la ville communique sur son fleuve, entre patrimoine et maîtrise : quelles transmissions ?

Résumé :
L’article établit une comparaison diachronique, sur les trente dernières années, de la mise en mots et en images d’un fleuve dans le journal de la commune de Lattes, petite ville de l’agglomération montpelliéraine. Il s’agit de comprendre l’évolution de la représentation du fleuve, dont l’inondation est une des manifestations, dans ce média. L’intérêt de l’analyse se porte tout d’abord sur ce que les représentations du fleuve et de sa gestion dans la communication de la ville nous apprennent du rapport au fleuve d’une manière générale. Ensuite, en analysant plus spécifiquement les mises en mots et en images de l’inondation ou des travaux de protection associés, l’analyse se focalise sur ce que ces représentations nous enseignent sur le rapport au risque d’inondation auquel est soumise la commune. Cette analyse nous permet alors d’observer sur le terrain concerné un mouvement inverse au processus contemporain de patrimonialisations des fleuves observé par ailleurs (Micoud, 2000). Cette tendance inversée vient alors questionner la transmission de la possibilité d’une inondation.

Conclusion :
Au fil de ce texte, nous avons vu l’objet fleuve Lez associé hier à l’histoire antique de la ville comme un patrimoine à valoriser et une histoire à raconter se transformer peu à peu en un problème à gérer au nom de la sécurité publique. Dans la période 1 le journal communal s’adressait à des Lattois dans un registre patrimonial faisant référence à leur attachement à leur espace de vie, à l’identité de cet espace. Le fleuve était partie intégrante de ce lieu, son histoire était racontée, valorisée, comme façonnée par les interactions entre l’homme et son milieu au cours du temps. Dans cette histoire, les inondations avaient leur place. Sans la nommer, avec les nombreuses références aux inondations du passé, le journal communal des années quatre-vingt participait de la transmission d’une mémoire du risque au sens d’une circulation des récits de l’inondation, d’une transmission de la mémoire des catastrophes passées. Cette transmission pouvait alors contribuer à la préparation des riverains à la possibilité d’une inondation. Trente ans plus tard (période 2), et après une explosion démographique, le discours du journal communal, à l’image de la politique qu’il traduit, se veut plus ouvert vers l’extérieur, davantage dans une volonté « inclusive » du nouveau venu. Les ancrages historiques et les références à la catastrophe éludés, seules les manifestations de loisirs qui se déroulent à proximité du fleuve sont contées et contribuent à sa représentation contemporaine. Dans un contexte politique national et local redessiné, la représentation des travaux de protection contre les inondations se fait dans un registre beaucoup plus technique ; le discours de la commune se veut plus rassurant, plus protecteur. La possibilité d’une l’inondation écartée, la représentation du fleuve évolue vers des formes enjôlées, où les aménités du fleuve sont au service des activités de loisirs habitantes. Ainsi, dans la communication de la ville, nous observons un mouvement inverse à la tendance actuelle à ériger les fleuves en des « objets vivants culturels » où « requalifiés en tant que nouveaux êtres, naturels et culturels à la fois, les fleuves font des êtres humains qu’ils relient des êtres vivants dotés d’une culture » (Micoud, 2000, p 237). Dans cette « double sémantisation des fleuves » (Micoud, 2000) ceux-ci passent alors du statut d’objet physique à celui d’objet patrimonial. Ce passage s’opère selon Narcy (2004) dans une prise en compte du fleuve comme un hydrosystème au sens de l’incorporation du temps et de l’espace dans les dynamiques fluviales, en opposition à la simple logique fluxiale qui dominait jusqu’alors. Nous constatons dans le journal communal de Lattes, au travers de la volonté affichée de maîtrise du fleuve très emprise de modernité, paradoxalement, comme un retour en arrière, vers cette logique fluxiale, a contrario des aspirations patrimonialisantes des fleuves observées par ailleurs. Volonté aux vertus rassurantes, pour certains au moins, mais qui ne laisse plus vraiment de place à la transmission de la mémoire des inondations. Ces éléments invitent alors à réfléchir aux enjeux politiques, économiques et sociaux de la construction (ou pas) d’une « culture du risque » (Claeys-Mekdade, 2006), mais aussi à questionner la signification concrète, l’existence pratique de cette notion. Ce travail, ainsi que la suite de l’étude ethnographique — à distance de l’évènement et dans le rapport quotidien des habitants à leur lieu de vie — en traçant les multiples formes de circulations sur le fleuve et sa gestion, visent à contribuer à cette réflexion.

Emeline Comby et Yves-François Le Lay
Raconter la crise : les extrêmes hydrologiques au prisme de la presse locale (Drôme)

Résumé :
Le premier Schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) approuvé en France (1997) et la remise du Riverprize (2005) ont fait du bassin versant de la Drôme une référence nationale et internationale pour la qualité de la gestion de sa rivière. En revanche, cette exemplarité vacille à l’échelle du bassin versant où différents types d’acteurs expriment leurs déceptions à l’égard de l’appréhension des crises hydrologiques (pénuries et crues). Les éditions de 1981 à 2008 de deux hebdomadaires locaux ont été dépouillées pour étudier les attitudes vis-à-vis du cours d’eau, des paroxysmes hydrologiques et de leur gestion. 1103 articles ont ainsi fait l’objet d’une analyse quantitative pour montrer comment la crise suscite et structure des « territoires de l’eau ». Les résultats soulignent une variabilité temporelle et spatiale des attentes des différents protagonistes, du fait de spécificités locales et de la complexité du système d’acteurs. En dépit de la qualité inégale de l’information véhiculée par la presse, elle apparaît comme une source pertinente pour étudier des communautés locales et mieux cerner les enjeux territoriaux.

Conclusion :

La presse locale s’avère une source efficace sur un terrain qui peut apparaître comme « surpâturé » par les recherches scientifiques et où l’approche diachronique prend tout son sens. Elle révèle la complexité du jeu d’acteurs dans ses variations temporelles et spatiales. Étudier une période de vingt-huit ans permet d’appréhender les trajectoires d’un système socio-spatial et notamment ses bifurcations. Si la gestion du bassin versant de la Drôme se présente comme un modèle à une échelle méso et macro, les acteurs s’y sentent encore vulnérables à cause du défaut de maîtrise des extrêmes hydrologiques. Néanmoins, la qualité de l’eau apparaît comme un exemple de résilience d’un système qui a su s’adapter par une sensibilisation environnementale et des investissements massifs.

En 2008, la CLE s’est réunie pour rédiger un nouveau SAGE. Au cours de la phase de concertation, le 6 mai 2010, un Document cadre a été approuvé autour des axes prioritaires suivants : l’amélioration de la gestion quantitative de l’eau (notamment en période de sécheresse), l’amélioration du transport de sédiments, la sécurisation des personnes face à la déstabilisation de certains ouvrages d’art et face aux crues, la mise en valeur du patrimoine naturel et l’amélioration de la qualité de l’eau (SMRD, 2010). Ainsi, les problématiques mises en lumière par cette étude restent d’une réelle actualité, puisqu’elles sont mises en évidence en vue de l’approbation du prochain SAGE.

Appréhender la Drôme à la lumière de l’extrême hydrologique la positionne de manière originale par rapport au grand fleuve. Aménagé par la Compagnie nationale du Rhône (CNR) au cours du XXe siècle, le fleuve voit ses pics de crues lentes de plaine écrêtés par les barrages et ses étiages soutenus au titre de préoccupations environnementales et économiques. En revanche, la Drôme reste une rivière torrentielle dépourvue de barrages, si bien qu’elle enregistre des événements plus intenses dont la temporalité est spécifique : les crues sont plus soudaines et brèves, les étiages plus marqués et fréquents.


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