Le sucre est-il une plante ?

La marque de sucre Daddy s’affiche partout en France dans «une nouvelle prise de parole en communication sincère et engagée ». Dans les deux visuels, des plantes de betterave sucrière « sortent » directement du paquet de sucre, avec les slogans « Daddy rappelle que le sucre est une plante » et « Au commencement Daddy est végétal ».

Une campagne pour « renouer avec le vivant et la nature »

Sur son site, au sujet de cette nouvelle campagne, la marque affirme : « Qui ose s’afficher avec un tel naturel… Daddy, bien sucre ! », « A tout juste 40 ans, l’âge d’une certaine maturité, Daddy accompagne sa métamorphose avec une nouvelle prise de parole en communication sincère et engagée. » « Parce qu’il n’y a pas un jour sans qu’on se rappelle l’importance de composer avec la nature. (Re)Créer de la simplicité, de la sincérité, de la transparence, Renouer avec la terre, Aimer ses produits, sa région, investir aussi le local, Redonner du sens à l’innovation avec le PPK en papier kraft ».

Pourtant, la campagne se focalise uniquement sur l’origine végétale du sucre. Il n’y a aucune référence aux efforts de la marque et de ses partenaires dans la culture et la transformation des betteraves, dans le process de fabrication, dans le packaging…

Dans un article CBNews, l’agence Business explique : « Lors du processus créatif, on est revenu aux basiques comme si on devait expliquer aux toutes nouvelles générations ce qu’était le sucre. On enfonce peut être des portes ouvertes pour certains, mais parfois il faut le faire et en l’occurrence on oublie bien souvent que le sucre provient d’une plante et qu’on le cultive il était clé de renouer avec le vivant et la nature. »

J’ajoute que cette campagne intervient quelques semaines après la décision des députés, contre l’avis des écologistes, de réintroduire les néonicotinoïdes pour la culture… des betteraves sucrières justement. Ces traitements sont « extrêmement dangereux pour les pour les abeilles, mais bien au-delà des abeilles, ils sont dangereux pour notre santé, ils sont dangereux pour notre environnement, ils contaminent les cours d’eau, ils contaminent la flore, y compris la flore sauvage. Ils restent dans les sols très longtemps. » (propos tenu en 2016 par Barbara Pompili, actuelle ministre de la transition écologique, comme le rappelle Stéphane Foucart du Monde). Autrement dit « être une plante » ne garantit pas l’innocuité envers le milieu naturel.

La marque devrait également avoir en tête les pressions exercées par les scientifiques et les ONG pour restreindre le marketing alimentaire pour les produits trop sucrés. « Le marketing alimentaire, en particulier celui des produits à faible intérêt nutritionnel et à haute densité énergétique, fait partie de l’environnement obésogénique qui est à l’origine de l’épidémie d’obésité observée au niveau mondial chez les adultes et les jeunes. » (étude Santé publique France, juin 2020).

Des réactions négatives

La découverte de cette campagne génère de nombreuses réactions négatives, comme en témoignent ces posts sur LinkedIn :

  •  » PARDON ??!! NON messieurs-dames qui avez osé pondre une communication pareille, le sucre n’est PAS une plante. Il est peut-être d’origine végétale, mais c’est un disaccharide hyperglycémiant, hautement raffiné, sans intérêt nutritionnel, que nous consommons en grand excès, et ce dès le plus jeune âge. Alors que les plantes sous formes de fruits et légumes nous apportent des fibres, des vitamines, des antioxydants… qui nous manquent et dont le sucre est dépourvu. Comment osez-vous à ce point prendre les consommateurs pour des imbéciles et vous moquer de leur santé ? Et pourquoi pas une des 5 portions de fruits et légumes tant qu’on y est ? Soyons sérieux !  » (Eloïse Collet)
  • « Le sucre Daddy fait beaucoup d’efforts sur l’éco-conception du packaging + l’argument Made in France. Par contre, laisser croire que le sucre est un légume, je ne suis pas sûr que ça passe. » (Thomas Parouty)
  • « Quand le marketing est déconnecté des enjeux globaux… Pas cool Daddy ! Et pis, pour continuer dans les raccourcis qui arrangent bien : l’alcool aussi est une plante… Il manquerait plus qu’ils le disent dans une émission de télé-réalité tiens, pour que le français lobotomisé finisse par croire que « finalement c’est sain le sucre ! » Le sucre tue combien de personnes dans le monde déjà ? » (Laure Schoefs)
  • « Oui mais … avec des betteraves qui ont la jaunisse parfumées aux neonicotinoides, des #pesticides tueurs d’abeilles et de #biodiversité … 😳 » (Mireille Lizot)
  • « Alors là je pense qu’on a un winner dans le #greenwashing . Le sucre , une plante ? Mais non enfin. N’importe quoi. La dernière campagne de Daddy sucre nous prend vraiment pour des c… » (Karine Solovieff)
  • « Que penser de la responsabilité sociale et économique (RSE) quand on voit cette dernière publicité pour le sucre ? Et si Phillip Morris nous rappelait que le tabac n’est qu’une plante ? Pourquoi pas Escobar pour nous rappeler que l’héroïne n’est qu’une plante ? Et Total pourrait nous rappeler que le gasoil n’est qu’une très vieille plante ?  » (Alfred Leibbrand)
  • « J’ai vu cette pub dans ma ville et elle m’a choquée. Je ne la comprends tout simplement pas : quel en est le sens ? La forme est péremptoire, le fond du message est flou. J’espère que leur agence de communication ne leur a pas coûté trop cher 🤭 il est rare que je sois aussi critique, mais là vraiment… » (Colette Schauber, en réaction à un post de Marie Brabant)

Une campagne trompeuse

Sur le plan des règles déontologiques qui s’appliquent à toute publicité, ces visuels contreviennent selon moi à deux points de la Recommandation développement durable et je vais déposer plainte auprès du Jury de déontologie publicitaire :

  • Point 7 – Vocabulaire : « Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable »
  • Point 8 – Présentation visuelle : « Les éléments visuels ne doivent pas pouvoir être perçus comme une garantie d’innocuité » et « l’emploi d’éléments naturels ou évoquant la nature ne doit pas induire en erreur sur les propriétés environnementales du produit ».

Je ne mets pas en cause les efforts de la marque pour réduire ses impacts environnementaux et sociaux depuis de nombreuses années (par exemple, leur packaging souple en papier kraft est une belle réussite), mais cette campagne est trompeuse.

S’il ne fait aucun doute que la matière première du sucre en poudre de cette marque est la betterave sucrière, cette mise en situation du produit et l’utilisation d’élément naturel occulte toutes les autres étapes du cycle de vie du produit (culture, transformation, emballage, transport, fin de vie) et les multiples impacts environnementaux associés (consommations d’énergie, de matière, émissions de polluants…). Oui, le sucre provient « d’une plante », mais il n’est pas « végétal » pour autant, ce n’est pas « une plante » avec ses qualités nutritionnelles et sa naturalité.

Une posture sur le site web qui interroge

On trouve sur le site web de la marque des arguments comme « 100% responsable » ou « Daddy s’engage pour une gourmandise sans compromis avec des sucres naturels, d’origine française, non raffinés, et responsables ».

La marque devrait être plus mesurée et nuancée sur son site web. Il n’est pas correct d’affirmer qu’un produit est « 100% responsable », quels que soient les efforts engagés et résultats obtenus. Il conviendrait de nuancer les propos (« des sucres plus responsables »).

Cette posture interroge sur la maturité réelle de la marque en matière de communication responsable. La « sincérité » proclamée doit se traduire dans tous les contenus.


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