Le thème de l’environnement dans les JT

Les problèmes environnementaux et leurs conséquences sur la santé publique promettent d’être parmi les plus importants auxquels sera confrontée notre société dans les années à venir. Une recherche cofinancée par l’Ademe et l’Afsset avait pour objectif d’analyser des discours médiatiques les concernant, ceux de l’information télévisée en l’occurrence, afin de mieux comprendre les processus par lesquels ces problèmes s’élaborent dans l’espace public, puis d’étudier la manière dont ces discours médiatiques sont reçus et interprétés par leur audience. Les résultats de ces travaux ont été présentés lors des « 3es rencontres recherche » de l’Ademe organisées en juillet 2007 à la Cité des Sciences et de l’Industrie de Paris.

Cette enquête pilotée par Suzanne de Cheveigné a été réalisée entre 2004 et 2006 avec le soutien de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (Ademe) et de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail (Afsset). Elle représente la reprise et l’extension d’une recherche menée dix ans auparavant avec l’appui du Ministère de l’environnement d’alors et permet donc également de cerner l’évolution récente de la question.

Pour les Français, les journaux télévisés sont de loin la principale source d’information sur l’environnement (72 %) suivis par les films (49 %) et les journaux (45 %). En France, 95 % des foyers sont équipés de téléviseur(s) et les journaux télévisés du soir sont regardés par près de 20 millions de personnes, le « 20 heures » de TF1 pouvant avoir jusqu’à 12 millions de téléspectateurs !

Ce sont donc les journaux de début de soirée de TF1 et France 2 (20 heures), France 3 (19 h 30) et Arte (19 h 45), durant deux périodes d’un mois en février – mars et juin – juillet 2004, qui ont été enregistrés et analysés. L’inventaire du contenu des journaux a été effectué et les nouvelles traitant d’environnement ont été identifiées, transcrites intégralement et des « storyboard » ont été constitués pour les principales d’entre elles avec les images de chaque plan.

Par ailleurs, 30 entretiens semi – directifs de deux heures environ ont été réalisés de juin à juillet 2005 auprès de spectateurs réguliers du journal télévisé habitant Paris, Marseille ou leurs régions. Ces entretiens, appuyés sur le visionnage et le commentaire d’extraits des journaux télévisés analysés, ont abordé aussi bien les perceptions des problèmes d’environnement, le rôle des médias et des acteurs locaux ou nationaux, que les possibilités de démarches actives (participation à des débats, activités associatives…).

Sircome_MozaiqueTV_XS3.jpg

Davantage de reportages « environnement » dans les JT

La première étape d’analyse quantitative du contenu des journaux télévisés brosse un tableau de la place qui est donnée à l’environnement dans les journaux télévisés des principales chaînes françaises en début de soirée. Le constat principal est que les nouvelles environnementales occupent beaucoup plus de place dans les journaux télévisés en 2004 qu’en 1994 puisque le nombre de reportages a plus que doublé sur TF1 et France 2 (cf. fig. 1). De plus, l’environnement semble avoir acquis une plus grande légitimité puisqu’on n’hésite plus à annoncer explicitement la thématique, ce qui était rare en 1994.

Les nouvelles « environnement » ont été classées en 4 catégories :

— les sujets concernant la faune ou la flore ;
— les sujets relevant de la politique environnementale, des aspects juridiques ou économiques ;
— les annonces d’événements concernant la météo ou les séismes ;
— les sujets sur la pollution, le plus souvent le résultat d’actions humaines négatives.

Sircome_Graph1_nombre.jpg

Une couverture médiatique très variable

Un suivi du rythme de la couverture médiatique qui permet de voir la dynamique dans le temps du flux d’information sur l’environnement, montre que l’environnement est parfois éclipsé par d’autres événements – ce fut le cas pendant plusieurs jours lors des attentats de Madrid du jeudi 11 mars 2004. À l’inverse, des nouvelles environnementales le plus souvent correspondant à des catastrophes naturelles, peuvent elles – mêmes faire l’objet d’une surabondance de présentations (exemple du séisme au Maroc le 24 février 2004 ou de chutes de neige inhabituelles dans l’ouest de la France le 28 février 2004). Les sujets de politique environnementale sont plutôt placés au milieu et les sujets animaliers, en général légers, à la fin des journaux.

Plus d’experts, moins de profanes

En examinant le choix des personnes interviewées dans les reportages « environnement », un recul du profane et de la victime, au profit des experts a pu être observé sur l’ensemble des chaînes. En 1994, 51 % des personnes interrogées dans les reportages étaient des « gens ordinaires » et seulement 27 % des experts. Les chiffres se sont inversés en 2004 avec 33 % de profanes contre 48 % d’experts (cf. fig. 2). Il s’agit là d’un retournement important d’une tendance de fond de la télévision, non spécifique à l’environnement, depuis 20 ans.

Sircome_Graph2_expertsnew.jpg

L’ (in)action collective à l’écran

L’analyse qualitative des extraits (textes et images) permet de dégager les stratégies discursives adoptées par chaque chaîne : ce sont les choix effectués par chaque média en terme de contenu, de scénario, de mode d’énonciation, etc. Cette analyse ne peut se faire que de manière comparative, en examinant les nouvelles communes aux quatre chaînes étudiées.

L’étude conduite dix ans auparavant avait montré que, lors des inondations de l’automne 1994 dans le sud – est de la France et le nord de l’Italie, TF1 proposait une vision d’impuissance en insistant sur la rupture des communications et la désorganisation sociale. À l’opposé, France 2 mettait bien plus en scène des traces de cohésion sociale, l’entraide des voisins ou les actions des secours. Cette opposition se confirmait dans d’autres sujets. Ce traitement de l’environnement comme un domaine sur lequel l’action collective a prise ou non peut donner sens ou rendre futile toute tentative de le préserver…

L’analyse qualitative des nouvelles diffusées en 2004 montre que les grands traits des modes d’énonciation des chaînes restent les mêmes qu’en 1994. Néanmoins, les chaînes de service public montrent moins systématiquement qu’il y a dix ans les scènes d’entraide qui mettaient clairement en scène la persistance, devant l’adversité, du lien social.

Regarder le JT, se connecter au monde

L’enquête sur la réception permet de comprendre comment des membres du public interprètent ces textes médiatiques et les mettent en rapport avec leurs perceptions et leurs pratiques environnementales.

Le journal télévisé suscite des réactions d’une grande ambivalence. Il bénéficie d’un fort capital, sinon de sympathie, du moins d’attachement, certainement avec moins de « révérence » qu’en d’autres temps du fait du doute sur la crédibilité des médias en général. Il persiste des inquiétudes (sinon des soupçons) de manipulation.

Dans l’échantillon, la vision du journal télévisé apparaît comme une pratique fortement ancrée dans les habitudes domestiques et familiales. Le JT permet l’accès à un minimum partagé d’information et de culture, de se sentir en prise avec la réalité collective : il représente un vecteur fondamental de connexion avec le monde. Certains téléspectateurs (le plus souvent ceux du JT de TF1) semblent piégés par son seul horizon, alors que d’autres réussissent à mobiliser des sources d’information complémentaires.

D’une façon générale, les personnes interrogées tissent une relation de confiance avec le présentateur et lui accordent un grand crédit de fiabilité, de compétence et d’objectivité. C’est TF1 qui illustre le mieux cette relation d’intimité avec la figure emblématique de P. Poivre d’Arvor.

Sircome_JT_Presentateurs_2_1_.jpg

Le journal télévisé est une forme établie, centrale dans la vie sociale des personnes interrogées qui ne se privent pas de le critiquer pour autant. Beaucoup apprécieraient de voir davantage de moments de débats et plus de diversité. De nombreux reproches sont faits, de pointillisme, de discontinuité, de juxtaposition d’informations insuffisamment mises en contexte. Il s’en dégage une impression de temps perdu dans le cadre d’un format pourtant déjà court.

Une attente forte en matière d’environnement

En ce qui concerne l’environnement, une fraction particulièrement défavorisée de l’échantillon n’est pas à même de prendre en charge ces problèmes qui leur paraissent venir se surajouter à ceux qui les accablent déjà (chômage, précarité…). Pour les autres, le journal télévisé est jugé utile comme espace d’évocation de la thématique et les demandes tant de conseils pratiques que d’explications générales sont très nombreuses :

— créer une chronique dédiée à l’intérieur du journal,
— ne pas hésiter à répéter,
— donner des explications (proximité et ouverture sur le monde).

Selon les personnes interrogées, l’action vis-à-vis de la dégradation de l’environnement et de ses conséquences sanitaires est pressante, urgente, venant peut – être même trop tard, et elle est mal assumée par les pouvoirs publics.

Principale référence :
Suzanne DE CHEVEIGNÉ et al., L’environnement dans le JT : la construction médiatique et sa réception. Rapport final Ademe – Afsset, Décembre 2006.


Publié

dans

par

Étiquettes :