Le tiercé perdant du greenwashing : vocabulaire trompeur, message disproportionné, manque de clarté ou de preuves

Un nouveau bilan « Publicité et environnement » ARPP-ADEME a été publié début octobre. Je contribue à cette étude en tant qu’expert nommé par l’ADEME.

J’ai analysé en détail les 65 publicités diffusées sur la période du bilan qui ne respectaient pas les règles déontologiques en vigueur pour identifier les erreurs commises le plus fréquemment.

Vocabulaire, proportionnalité et clarté des messages

En moyenne, les publicités contreviennent à deux points de la Recommandation développement durable de l’ARPP. Au minimum, un point n’est pas respecté, mais certaines publicités cumulent jusqu’à quatre motifs différents de non-conformité.

Les deux-tiers des publicités non-conformes (44 soit 68 % du total) utilisent un vocabulaire qui induit le public en erreur (point 7 de la recommandation DD). C’est, de loin, le principal signe de greenwashing. Viennent ensuite le non-respect des règles de proportionnalité (point 3 – 30 pubs soit 46 %) et de clarté des messages (point 4 – 22 pubs soit 34 %).

Vocabulaire trompeur, message disproportionné, manque de clarté ou de preuves : voici donc le tiercé perdant du greenwashing.

« Impact positif », « préserve la planète », « marque écoresponsable », « production responsable », « constructions durables », « piscine écologique », « vaisselle durable », « solutions vertueuses pour l’environnement », « beauté responsable et engagée », « initiatives écoresponsables » sont quelques exemples d’allégations abusives relevées dans l’étude.

Lorsque votre produit ou service est significativement moins impactant que les autres produits du marché ou que le modèle précédent, vous pouvez (et devez) le valoriser dans vos supports, mais attention à ne pas laisser croire au public que l’achat ou l’usage contribue à « protéger » la planète ou aurait un effet « positif ». Votre allégation doit être nuancée (« moins impactant », « plus éthique », « plus responsable »…) et accompagnée de solides éléments de preuve (écolabel, résultat d’étude de réduction d’impacts…).

Les autres non-conformités sont relatives aux enjeux de véracité (point 2 – 12 visuels soit 19 %), d’impacts éco-citoyens (point 1 – 19 % également) et de présentation visuelle (point 8 – 10 pubs soit 15 %). Quelques publicités ne respectent pas les points relatifs aux signes, labels et logos (point 6 – 5 visuels soit 8 %) et aux dispositifs complexes (point 9 – 2 visuels soit 3 %). Je présenterai des exemples concrets dans le prochain numéro de Greenwashing news. Aucun manquement au point 5 de la Recommandation (loyauté du message) n’a été relevé dans ce bilan.

Typologie des non-conformités du bilan ARPP-ADEME 2024

  

Greenwashing #1 – Le vocabulaire trompeur

Sur les 65 publicités non conformes du bilan, 44 (soit 68 %) ne respectent pas le point relatif au vocabulaire de la Recommandation Développement durable de l’ARPP. Ce point 7 est rédigé ainsi :

  1. Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable.
  2. Lorsque les termes et expressions utilisés font l’objet d’une définition fixée par une norme, ils doivent être employés dans un sens qui correspond à cette définition.
  3. Dans le cas où il serait impossible de justifier des formulations globales (ex. : écologique, vert, éthique, responsable, préserver, équitable, durable…), la publicité doit les relativiser en utilisant des formulations telles que « contribue à ».
  4. Les termes, expressions ou préfixes utilisés ne doivent pas traduire indûment une absence d’impact négatif du produit ou de l’activité de l’annonceur.
  5. Le vocabulaire technique, scientifique, ou juridique, peut être utilisé s’il est approprié et compréhensible pour les personnes auxquelles s’adresse le message publicitaire.

Voici quelques exemples de publicités tirées du Bilan pour lesquelles le vocabulaire utilisé ne respecte pas les préceptes ci-dessus et est susceptible de tromper le public.  

  • Une entreprise du secteur de l’aéronautique qui affirme « avoir en vue un avenir écologiquement durable » et susciter « des innovations qui feront croître durablement l’aéronautique ».
  • Une marque de pommes produites en France « par un collectif de producteurs engagés dans une production responsable ».
  • L’interview à la radio du « Directeur technique construction durable » d’un promoteur immobilier qui parle de « construction durable », de projets intégrant une part importante de bois, « une ressource idéale […] qui en plus respecte la planète », ou encore de « constructions écologiques ».
  • Un opérateur téléphonique qui, dans une vidéo, nous présente un « téléphone éco-responsable » dont l’achat nous permettra « enfin [de nous] mettre au vert » et de « ne faire qu’un avec la nature ».
  • Un constructeur de « piscines écologiques ».
  • Une collectivité territoriale qui se présente comme  « La destination tourisme d’affaire et durable », « destination verte », engagée pour un « tourisme responsable », incontournable « pour l’organisation d’événements responsables et durables ».
  • Un traiteur qui promeut sa « vaisselle écologique » et sa « vaisselle durable » sur une bannière web.
  • Un constructeur de voitures qui privilégie « l’utilisation de matériaux durables comme le bois issu des forêts suédoises, la laine et le lin » pour « limiter au maximum leur impact sur l’environnement ».
  • Une marque de produits cosmétiques qui nous invite à découvrir « La beauté responsable et engagée ! ».   
Exemples de publicités tirées du Bilan Publicité et environnement ARPP-ADEME 2024 utilisant un vocabulaire trompeur, en contradiction avec le point 7 de la Recommandation DD de l’ARPP.

  

Greenwashing #2 – Le message disproportionné

Sur les 65 publicités non conformes du bilan, 30 (soit 45 %) ne respectent pas le point sur la proportionnalité des messages (point 3) de la Recommandation Développement durable de l’ARPP. Il est rédigé ainsi :

  1. Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments justificatifs transmissibles. La réalité de ces actions ou propriétés peut s’apprécier au regard des différents piliers du développement durable, des différents types d’impacts possibles et des différentes étapes de la vie du produit.
  2. Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion.
  3. En particulier :
    a/ L’argument publicitaire ne doit pas porter sur plus de piliers du développement durable, plus d’étapes du cycle de vie ou plus d’impacts qu’il ne peut être justifié.
    b/ Le message publicitaire ne saurait suggérer indûment une absence totale d’impact négatif.
    c/ La présentation d’action(s), de produit(s) à un stade expérimental ou de projet (prototype, R&D, investissement…) doit clairement les présenter comme tels et ne pas en exagérer la portée.

Voici quelques exemples de messages publicitaires disproportionnés tirés du Bilan :  

  • Un fabricant de thermostats connectés qui « préserve votre budget et la planète ».
  • Un site d’e-commerce qui invite le public à repérer « les produits qui font du bien à la planète » grâce à un label.
  • Un publi-communiqué pour une compagnie d’assurance titré « Quand les investissements verts assurent notre avenir » et qui présente son offre comme des « solutions vertueuses pour l’environnement ».
  • L’interview à la radio du représentant d’un promoteur immobilier qui affirme que son entreprise s’engage pour « le maintien de la biodiversité » et « la préservation de la ressource en eau ».
  • Un constructeur automobile qui parle de « véhicule durable » et qui affirme que « oui, une voiture électrique peut être désirable et durable à la fois » et que le design du véhicule peut-être « soucieux du climat ».
  • Une marque de bijoux qui se présente comme « l’un des leaders éthiques de la production de pierres précieuses »
  • Une marque de smartphones « conçus pour vous de manière équitable » et dont la « conception est aussi responsable et réalisée dans des usines éthiques ».
Exemples de publicités tirées du Bilan Publicité et environnement ARPP-ADEME 2024 en contradiction avec le point 3 de la Recommandation DD de l’ARPP sur la proportionnalité.

  

Greenwashing #3 – Le manque de clarté ou les preuves insuffisantes

Sur les 65 publicités non conformes du bilan, 22 (soit 34 %) ne respectent pas le point 4 de la Recommandation Développement durable de l’ARPP sur la clarté des messages, formulé comme suit :

  1. L’annonceur doit indiquer dans la publicité en quoi ses activités ou ses produits présentent les qualités revendiquées.
  2. Si l’argument publicitaire n’est valable que dans un contexte particulier, ce dernier doit être présenté clairement.
  3. Lorsqu’une explicitation est nécessaire, celle-ci doit être claire, lisible ou audible et, donc, répondre aux exigences de la Recommandation Mentions et renvois de l’ARPP.
  4. Dans les cas où cette explicitation est trop longue pour pouvoir être insérée dans la publicité, l’information essentielle doit y figurer, accompagnée d’un renvoi à tout moyen de communication permettant au public de prendre connaissance des autres informations.
  5. Tout message publicitaire reposant sur une étude scientifique doit en indiquer la source.
  6. Tout argument de réduction d’impact ou d’augmentation d’efficacité doit être précis et s’accompagner de précisions chiffrées, en indiquant la base de comparaison utilisée.

Voici quelques exemples de messages publicitaires disproportionnés tirés du Bilan :  

  • Un acteur de l’énergie qui affirme dans une vidéo : « Pour vous nous allons transporter le CO2 capturé et libérer l’atmosphère ». Cette allégation présentée mériterait d’être explicitée pour être comprise (et aussi d’être relativisée).  
  • L’allégation « Solutions climatiques pour une planète où il fait bon vivre » pour un fabricant de pompes à chaleur, associée aux sports d’hiver n’est pas claire.
  • Une marque de bijoux qui annonce que son « approvisionnement en métaux durables est passé de 65% à 100%, que ce soit pour l’or ou pour l’argent » : il conviendrait de relativiser le propos et d’indiquer dans le post les principaux critères qui permettent de qualifier cet approvisionnement plus responsable. 
  • Une destination touristique lointaine qui se présente comme « naturellement green » sans indiquer en quoi elle serait plus responsable et la base de comparaison.
Exemples de publicités tirées du Bilan Publicité et environnement ARPP-ADEME 2024 en contradiction avec le point 4 de la Recommandation DD de l’ARPP sur la clarté des messages.

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