Pas de sobriété possible sans réduction de la pression publicitaire

Le 14 mars dernier, l’Institut de recherche et d’études publicitaires (IREP) dévoilait les résultats économiques du marché publicitaire en France pour 2022 [1]. Résultats : 16,7 milliards d’euros ont été investis en publicités sur l’ensemble des médias dans l’année, soit une progression de + 5 % par rapport à 2021 et de + 10 % par rapport à 2019. Une augmentation similaire est estimée pour 2023.

Les entreprises dépensent donc toujours plus d’argent en publicités qui nous incitent à acheter des produits et services dont nous n’avons en général pas besoin et qui promeuvent un imaginaire du bonheur et de la réussite à travers la consommation et la possession [2]. Dans le même temps, nous cherchons collectivement et individuellement à lutter contre le changement climatique, l’épuisement des ressources naturelles et l’effondrement de la biodiversité. Ce n’est pas cohérent. C’est même incompatible.

« On dit aux gens, d’un côté il faut baisser les émissions de gaz à effet de serre […] et de l’autre côté on est submergé de publicités qui poussent à faire l’inverse. Ça crée une espèce de confusion » [3], expliquait Valérie Masson-Delmotte lors de son intervention devant la Convention Citoyenne pour le Climat en 2019.

Ainsi, de nombreux appels à une réduction de la pression publicitaire globale et à l’interdiction des messages commerciaux pour les produits et services les plus impactants ont été lancés ces dernières années par différents « corps sociaux » :

  • Plusieurs ONG de protection de l’environnement demandent de « mettre un frein aux incitations publicitaires qui jouent, de manière insidieuse, sur nos frustrations et nos désirs, en occultant la réalité sur les impacts environnementaux néfastes des marchandises dont elles font la réclame, et en s’immisçant toujours plus dans notre quotidien » [4] et, en parallèle, souhaitent voir renforcée « la portée des voix alternatives dans la société » [5], c’est-à-dire que soit donnée une plus grande place aux campagnes d’intérêt général d’associations, d’organisations publiques, d’acteurs de l’économie sociale et solidaire…
  • Les Françaises et des Français de la Convention citoyenne pour le Climat ont proposé d’ « interdire de manière efficace et opérante la publicité des produits les plus émetteurs de GES sur tous les supports publicitaires » et de « réguler la publicité pour limiter fortement les incitations quotidiennes et non-choisies à la consommation » [6].
  • Les personnes déléguées du Grand Défi des Entreprises pour la Planète recommandent la « suppression progressive des écrans numériques publicitaires » et l’ « arrêt de la publicité imprimée distribuée non adressée » [7].

Alors, que fait-on ? On laisse les investissements publicitaires croître toujours plus chaque année, en se réfugiant derrière le mythe d’une « croissance verte » infinie alors que sept limites planétaires sur huit sont déjà dépassées [8] ? Ou bien on étudie sérieusement la possibilité d’appliquer le principe de la sobriété, du « moins mais mieux » au secteur publicitaire et plus largement à l’ensemble de l’écosystème du marketing et de la communication ?

Plusieurs pistes seront abordées à l’occasion du premier Congrès de la communication responsable qui se déroulera à Paris les 15 et 16 juin prochains.

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Notes

[1] IREP, BUMP Baromètre unifié du marché publicitaire. Le marché publicitaire 2022 et prévisions. Mars 2023. https://www.irep.asso.fr/marchepub/resultats-annuels/

[2] Cf. l’étude récente : La communication commerciale à l’ère de la sobriété. Taxer la publicité pour consommer autrement de l’Association Communication et Démocratie et de l’Institut Veblen (octobre 2022). https://www.communication-democratie.org/fr/publications/rapports/la-communication-commerciale-a-l-ere-de-la-sobriete/

[3] Vidéo d’ouverture du premier week-end de la Convention citoyenne pour le climat, le 4 octobre 2019. https://www.youtube.com/watch?v=SIyoEGizt8M

[4] Greenpeace France, le Réseau action climat, Résistance à l’agression publicitaire, Publicité : pour une loi Évin Climat, 2020 https://www.greenpeace.fr/publicite-pour-une-loi-evin-climat/

[5] Résistance à l’Agression Publicitaire, Les Amis de la Terre France et Communication Sans Frontières. Big Corpo. Encadrer la pub et l’influence des multinationales : un impératif écologique et démocratique, 2020 https://www.amisdelaterre.org/bigcorpo/

[6] Convention Citoyenne pour le Climat, Les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat. Rapport final, juin 2020 https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/le-rapport-final/

[7] Les 100 propositions du Grand Défi des entreprises pour la planète. Février 2023. https://www.les100propositions.legranddefi.org/

[8] Reporterre. Sept des huit limites planétaires dépassées : un diagnostic « très grave ». Mai 2023. https://reporterre.net/Sept-des-huit-limites-planetaires-depassees-un-diagnostic-tres-grave


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