« On n’a pas de pétrole mais on a des idées », « Préservez votre argent, préservez votre planète », « Réduisons vite nos déchets, ça déborde », « Entrons dans le monde d’après »… Les campagnes de sensibilisation du public à l’énergie et à l’environnement se succèdent depuis 40 ans. Patrice Joly a passé une grande partie de sa carrière au sein de l’ADEME, notamment au poste de Directeur de la communication. Il nous livre son analyse sur ces campagnes : enjeux, partis-pris, effets…
Bonjour Patrice Joly, je suis ravi de vous accueillir sur Sircome. Jeune retraité, vous avez passé une grande partie de votre carrière à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Pouvez-vous nous présenter votre parcours ? En particulier, comment avez-vous vécu le passage, dans un sens et puis dans l’autre, entre l’ADEME et l’Union française des industries pétrolières. Ça doit faire un choc, non ?
J’ai consacré l’essentiel de ma « carrière » à l’organisation d’actions d’information et de communication dans les domaines de l’énergie et de l’environnement. Ces activités se sont exercées aussi bien dans la cadre d’entreprises ou d’institutions privées que dans la sphère de l’action publique.
Après plusieurs années d’expérience en tant qu’ingénieur technico-commercial dans une entreprise de production de machines à bois, puis comme rédacteur en chef de revues spécialisées (La Revue du Bois et de ses Applications, Énergie Plus), je suis entré en 1984 à l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie au poste de responsable de l’information technique pour l’industrie, puis chef du service Agriculture – Bois – Biomasse.
De 1989 à 1992 j’ai pris la responsabilité du service Marketing et communication de l’AFME assurant la définition et la mise en œuvre de la stratégie de communication de l’établissement (grand public, entreprises, collectivités locales). J’ai été responsable du Plan Marketing de Développement 1990/91, commissaire Général du Salon international Maîtrise de l’Énergie dans l’Industrie de 1990 et responsable des grandes campagnes de communication sur la maîtrise de l’énergie mises en œuvre à la demande des pouvoirs publics notamment au moment de la guerre du Golfe.
C’est à cette période que l’ADEME a été créée à travers la fusion de trois agences : l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie (AFME), l’Agence nationale pour la récupération des déchets (ANRED) et l’Agence pour la qualité de l’air (AQA). La mise en œuvre de cette fusion a été longue (une année) et un peu « pénible » comme toute fusion laissant les équipes dans l’inquiétude et assez désœuvrées. Le prix du baril de pétrole était alors très bas et il semblait que l’énergie ne serait pas la priorité de la nouvelle agence, sachant que les budgets publics affectés à la maîtrise de l’énergie ont le plus souvent été corrélés au niveau du prix du baril de pétrole !!! Ce qui s’est vérifié puisque l’ADEME dans sa première période s’est intéressée en priorité aux politiques déchets.
D’où l’envie d’aller voir ailleurs. Après une petite hésitation (!), j’ai pris en charge en 1992 la Direction de la communication du syndicat professionnel du pétrole, l’Union française des industries pétrolières (UFIP), au sein duquel j’ai été responsable des actions collectives de communication, notamment publicitaires. Je me suis dit que c’était une expérience à tenter notamment parce que les adhérents étaient alors très variés (sociétés nationales comme Elf et majors Esso ou Shell) avec des « chocs de culture » très intéressants. Sur des sujets comme les biocarburants par exemple, certaines entreprises adhérentes étaient en pointe à l’époque (comme Shell) ou résolument contre (comme Esso). D’où des synthèses de position pas évidentes à écrire !
Cela m’a permis de mieux comprendre la complexité du monde énergétique qui m’a été très utile pour la suite. Il faut noter que dans cette période, entre 1992 et 1999, l’essentiel des actions de promotions des économies d’énergie ont été organisées par les producteurs d’énergie et en particulier les pétroliers !!!
Vous êtes ensuite revenu à l’ADEME…
Effectivement, je suis revenu à l’ADEME en 1999. Sous l’impulsion du nouveau gouvernement et de son nouveau président l’écologiste Pierre Radanne, l’agence affichait une ambition nouvelle notamment en matière de maîtrise de l’énergie. J’ai d’abord pris les fonctions de Chef de Cabinet du Président et du Directeur Général m’impliquant notamment dans la préparation et la rédaction du contrat de plan avec l’État.
Fin 2000, j’ai été nommé Directeur adjoint de la stratégie et de la communication qui m’a vu prendre en charge l’organisation de campagnes de communication « grand public » sur la maîtrise de l’énergie et la promotion des énergies renouvelables et contribuer à la mise en place d’un réseau d’information de proximité, les « Espaces info énergie » en partenariat avec des associations locales et les collectivités territoriales.
De janvier 2004 à 2012, j’ai occupé le poste de Directeur de la communication, de la formation et du développement et j’ai poursuivi l’organisation d’opérations de communication d’envergure notamment en fin de parcours dans le cadre des actions du Grenelle environnement (campagnes « Économies d’énergie, faisons vite, ça chauffe », « Réduisons vite nos déchets, ça déborde », « Entrons dans le monde d’après » par exemple), la mobilisation des médias sur les thématiques énergie et environnement, la valorisation des connaissances auprès des différents publics professionnels (ouvrages techniques, colloques professionnels, des activités « commerciales »).
Depuis le « poste d’observation » qui a été le vôtre à l’ADEME, quel regard portez-vous sur l’évolution des perceptions et des comportements des Français vis-à-vis des problématiques environnementales et du développement durable ces dernières années ? Où en est-on aujourd’hui alors que la crise économique semble ne plus finir ? Et demain ?
D’une manière générale, les enquêtes d’opinion mettent en évidence une sensibilité des français aux problématiques énergie / environnement mieux ancrée et mûrie par rapport aux années 90. Les efforts d’information et de sensibilisation ont à l’évidence favorisé ces prises de conscience. Pour autant une majorité de la population ne paraît pas prête à faire certains sacrifices tels qu’une baisse de confort, un niveau de vie en diminution, pour la cause environnementale ! Et il faut bien reconnaître qu’actuellement la crise économique a tendance à reléguer les préoccupations environnementales au second plan
Dans ce contexte, si les petits gestes au quotidien qui « sauvent la planète » semblent passer dans les mœurs – tout au moins en déclaratif – il existe corrélativement une attente forte en la matière pour une aide concrète au passage à l’acte qui va bien au-delà de la simple sensibilisation.
Plus que jamais aujourd’hui les français considèrent que leurs consommations d’énergie et les coûts afférents représentent un part trop importante de leur budget : la prise de conscience de la cherté de l’énergie sur le long terme est une donnée importante dans l’évolution des comportements liés à son utilisation. Problème : cette prise de conscience ne se traduit pas, crise économique oblige et moyens financiers en diminution, par l’engagement accru de travaux d’économies d’énergie comme le montre le baromètre « Les français et l’environnement » publié récemment par l’ADEME. Après un pic de réalisation des travaux en 2009 (15 % des ménages, Grenelle de l’environnement oblige ?) on redescend en 2012 à 12 % et la tendance à la baisse devrait se poursuivre en 2013. Il faut souhaiter que le dispositif mis en œuvre actuellement par les pouvoirs public (« J’éco-rénove – j’économise ») qui allie conseils utiles et incitations financières permettra de relancer la dynamique des travaux de rénovation.
Pour l’avenir, il est intéressant de noter que les français considèrent majoritairement (74 %) que les pouvoirs publics doivent prioritairement orienter l’économie vers des activités industrielles qui préservent l’environnement. Ils sont aussi plus de la moitié à estimer « qu’il faudra modifier de façon importante nos modes de vie pour empêcher l’augmentation de l’effet de serre ». La nécessité d’une « transition » dans nos modes de production et de consommation est donc bien « sur la table ». Reste à savoir ce que l’on est prêt à accepter dès lors qu’on passera au concret, mais il faut bien être convaincu en la matière que si l’on ne fait rien ce sont les évènements, notamment climatiques, qui nous dicteront les mesures à prendre et ça risque d’être plus douloureux
Vous avez travaillé sur de nombreuses campagnes nationales de l’ADEME à destination du grand public : énergie, climat, déchets… Quels sont les retours d’expériences que vous en tirez ?
Comme je l’ai souligné c’est à partir de 1999, sous le présidence de Pierre Radanne, que l’ADEME a renoué avec la communication « Grand public » qui avait été l’une des priorités d’actions des agences de l’énergie (Agence pour les économies d’énergie et Agence française pour la maîtrise de l’énergie) sur la période 1975-1991 (on se souvient des campagnes « On n’a pas de pétrole mais on a des idées » ; « Chasse au gaspi ») mais avait été quasiment abandonnée par l’ADEME depuis sa création jusqu’en 1998.
Des campagnes de communication sur l’ensemble des thématiques ADEME, plus spécifiques à la maîtrise de l’énergie, de promotion des chauffe-eau solaires individuels, du chauffage au bois, etc. ont ainsi été mises en œuvre entre 1999 et 2003.
Corrélativement des « outils réponses » pour délivrer de l’information utile aux citoyens-consommateurs ainsi sensibilisés ont été créés : guides d’information grand public, site internet, ligne téléphonique Azur, réseau d’information des Espaces info énergie…
Sous l’impulsion de Michèle Pappalardo, l’action de sensibilisation et d’information du public s’est amplifiée et s’est mieux structurée avec la mise en œuvre de grandes campagnes de communication gouvernementales pluriannuelles – grande nouveauté pour l’action publique – dans le domaine de la maîtrise de l’énergie et de la sensibilisation au changement climatique (« Économies d’énergie, faisons vite ça chauffe » : 2004 à 2007) et de la réduction des déchets à la source (« Réduisons vite nos déchets, ça déborde » : 2005 à 2008).
Pour la « petite histoire », il faut rappeler qu’en 1990, au moment de la guerre du Golfe une campagne de communication sur les économies d’énergie « Maîtrise de l’énergie, les choix sont entre vos mains » avait été mise en œuvre dans ce contexte marqué par des risques de pénuries de pétrole. Cette campagne devait comporter deux vagues et l’invasion de l’Irak par les troupes américaines a eu lieu juste après la diffusion de la première. Comme cette guerre n’a eu aucun impact sur le coût du baril de pétrole (qui était resté très bas), il fut décidé que la deuxième vague n’était pas nécessaire !! Cela donne une idée sur la vision prospective de certains décideurs publics.
À la fin 2006, à l’occasion de l’actualisation du Plan Climat, il a été demandé à l’ADEME d’amplifier sa communication climat/énergie en développant les campagnes de communication ainsi que le réseau des Espaces info énergie. Ces actions ont fait l’objet d’évaluations systématiques qui ont mis clairement en évidence leur efficacité en termes de sensibilisation et leur incitation à agir mais aussi la nécessité qu’il y aurait à les amplifier encore pour qu’elles puissent remplir pleinement leur rôle, dans la cadre de budget du même ordre que les campagnes d’intérêt général type « SIDA », « Sécurité routière », etc.
Le Grenelle de l’environnement est donc arrivé au bon moment !
Oui, le Grenelle de l’environnement a permis cette évolution et, sous la présidence de Chantal Jouanno puis de Philippe Van de Maele, l’ADEME a alors concrétisé un très important programme d’information et de communication pour accompagner la mise en œuvre des mesures décidées et assurer une large diffusion des messages associés.
Il a été mis en évidence qu’une communication Grenelle efficace supposait que les actions de communication pratiques soient impérativement associées à une communication institutionnelle porteuse de sens et traçant la voie d’un horizon « plus prometteur ». Celle-ci devant viser à capitaliser à intervalles réguliers sur les résultats globaux obtenus en matière de Développement Durable afin de les utiliser comme le « socle » des messages positifs et convaincants destinés à favoriser la mutation environnementale de la société. Ainsi, la signature « Grenelle Environnement, entrons dans le monde d’après » a permis de fédérer l’ensemble des communications de l’ADEME et du Ministère du Développement Durable.
Il faut souligner que la préparation des actions de communication Grenelle a été l’occasion de réfléchir de manière approfondie à la façon dont l’ADEME et d’autres acteurs de l’environnement appréhendent leurs communications « développement durable ». Pour prendre des références médicales, on peut dire que les approches sont généralement symptomatiques et pragmatiques : il s’agit de contribuer à traiter les symptômes de problèmes concrets (qualité de l’air, traitement des sols, maîtrise de l’énergie, réduction des déchets, etc.), sans nier leurs interdépendances mais en affichant des objectifs précis et ciblés. Dans cette optique, la communication est résolument pragmatique, tournée vers les bénéfices les plus immédiats possibles pour le consommateur. Il faut de manière générale « embrayer sur le court terme » avant de donner une dimension plus intemporelle et planétaire aux messages diffusés.
Vient ensuite la démarche que l’on peut qualifier d’« étiologique » (pour rester sur le registre médical) qui prend en compte un traitement global des problèmes intégrant les coûts économiques, sociaux et bien sûr environnementaux dans les programmes d’action. En termes de communication, cette conception met en avant une éthique de responsabilité : « la communauté a le devoir de préserver la satisfaction des besoins des générations futures ». Il s’agit pour les actions de communication de contribuer à enrichir l’idée de citoyenneté.
Mais cette vision globale est sans doute plus difficile à mettre en œuvre, à être comprise. Je pense qu’il y a là un vrai débat sur la manière de communiquer :
- soit avec une approche ciblée qui si elle permet de bien traiter les problèmes, a tendance aussi à les « saucissonner » sans perspective générale ;
- soit dans une approche « systémique » sans doute plus globalisante et donc plus satisfaisante en termes de dimension donnée aux messages mais dont la mise en œuvre sur un registre de complexité est plus délicate. C’est ce qui avait été tenté dans le cadre du Grenelle Environnement.
Hélas comme d’habitude, la continuité des actions n’a pu être complètement assurée suite aux échéances électorales et au changement de gouvernement et c’est bien le problème – récurrent – de ce qui est entrepris au niveau d’une agence comme l’ADEME en particulier en matière de communication. La confusion entre communication, information « pratique » et communication gouvernementale « politique » pose à chaque fois problème : le « Grenelle environnement » qui était au cœur de la communication devient soudain, par la force des choses « territoire interdit » et les communications associées abandonnées ou adaptées avec la difficulté à capitaliser sur la durée.
Heureusement les équipes ADEME sont assez habiles pour assurer, dans ce contexte un peu « politicien », un lien efficace entre les époques et assurer des continuités qui font honneur à l’action publique. On rêve d’un système où une agence publique aurait les « coudées franches » par exemple sur 5 années pour maîtriser ses plans de communication structurés avec des continuités de messages permettant efficacement de promouvoir sur son action au service des citoyens sans remise à plat à chaque changement de ministre… et d’utiliser plus efficacement l’argent public.
Aujourd’hui les communications sont essentiellement « utilitaires » ce qui peut se concevoir compte tenu du contexte économique actuel ; on est sur le registre qui se veut humoristique avec pour slogan de la nouvelle campagne « déchets » de l’ADEME « Si vous ne le faites pas pour la Planète, faites-le pour vous » en phase avec sans doute les résultats d’études qualitatives réalisées en amont.
À titre personnel, je pense que l’objectif des campagnes d’intérêt général mises en œuvre par un service public n’est pas de chercher seulement à « surfer » sur les grandes tendances sociologiques observées jusqu’à occulter certaines convictions que nous affichons (pas forcément « populaires »). Il s’agit, tout en étant résolument proactifs, de trouver un juste équilibre sur la manière d’aborder certains sujets pour qu’ils soient « reçus » afin d’éviter le « grand écart » qui est ravageur et contre-productif mais sans oublier notre mission « éducative ».
Fort de cette riche expérience, quels sont selon-vous les gages d’efficacité des actions de communication et de mobilisation du grand public ?
L’analyse des actions d’information et de sensibilisation engagées dans le passé met en évidence selon moi que quatre conditions sont requises pour qu’une action destinée à toucher et à mobiliser le plus grand nombre soit réellement efficace : la pertinence de messages et d’outils, la durée et la continuité, la capacité à répondre au questionnement et enfin la conviction partagée d’une mobilisation générale.
Une nécessaire pertinence en termes de messages et de choix de média pour les actions de publicité stricto sensu : études amont qualitatives sur les attentes des citoyens-consommateurs mais aussi recherche de formulations s’inscrivant dans une conception solidaire de la société et de l’humain plutôt que dans la valorisation de l’individualisme. Nous parlons souvent de grand public comme s’il s’agissait d’un groupe homogène. Mais le grand public est composé de plusieurs sous catégories qui vont des ménages aisés aux ménages précaires en passant par les classes moyennes. Comment parler avec pertinence à chacune de ces sous-populations ? Nous devons tenir compte de ces différences et adapter les messages notamment concernant des personnes en situation de précarité qui constituent aujourd’hui une population prioritaire que les communications habituelles n’arrivent plus à toucher voire dérangent (acheter un chauffe-eau solaire… mais avec quel argent ?).
La durée et la continuité. Les coups « spots » sont inefficaces et une pérennisation des actions est nécessaire pour assurer l’impact et la « fidélisation ». Il faut des visions à quatre, cinq ans et s’y tenir.
La capacité de répondre au questionnement que la communication suscite : il est nécessaire de mettre en place des « outils réponses » efficaces pour répondre aux attentes de citoyens-consommateurs de plus en plus exigeants et leur fournir une information fiable, indépendante des fournisseurs d’énergie notamment.
La conviction partagée d’une mobilisation générale : collectivités locales, entreprises, associations professionnelles, associations de consommateurs et de protection de l’environnement. La prise de conscience du « tout le monde s’y met car le sujet est maintenant crucial » est un levier d’entraînement évident pour mobiliser les citoyens. Il faut créer les conditions de cette mobilisation notamment en développant les partenariats.
Pour finir on pourra utilement se reporter aux conclusions du Comité Opérationnel n°34 (COMOP 34) dont j’ai été l’un des chefs de projets et qui a été élaboré dans le cadre du Grenelle de l’environnement. Il est venu compléter le champ couvert par les 33 comités opérationnel engagés dans ce cadre. Son intitulé (ambitieux !) était de « définir les voies, moyens et conditions requis pour une mobilisation effective du public autour des enjeux environnementaux et de développement durable et pour la modification des comportements que ceux-ci appellent ».
Si d’aventure – et il y a de fortes chances pour qu’à un horizon plus ou moins lointain cela se produise – de nouveaux groupes de travail étaient créés sur ces thématiques, ils auront tout intérêt à prendre en compte tout ou partie des propositions de ce document ; cela évitera de partir de « zéro » comme c’est malheureusement souvent le cas (j’ai pu le vérifier plusieurs fois dans ma vie professionnelle) et une fois encore « réinventer l’eau chaude ». Concrètement ce qui compte, c’est plutôt la mise en œuvre de telles propositions qu’un « encore » travail de définition, de larges consensus existant sur ces sujets.
Pouvez-vous nous expliquer comment s’effectue l’évaluation de « l’impact » de telles campagnes ? Au-delà des indicateurs de notoriété ou de mémorisation des messages, comment le passage à l’acte est-il évalué ? Un calcul de la « rentabilité » d’une campagne est-il possible ? Une marque commerciale peut constater l’augmentation des ventes de produits ou services, mais que peut-on mesurer quand on parle de bien commun, de prévention, de changements de comportements complexes et sur un temps parfois long ?
Il faut souligner tout d’abord que l’efficacité des vagues publicitaires TV et radio réalisées en termes d’impact, d’agrément, de compréhension et d’incitation à agir est systématiquement vérifiée par des post-tests effectués à l’issue de chaque vague de communication. D’une manière générale, ces tests ont validé les concepts créatifs et les choix de média effectués pour ces campagnes : ces analyses vont évidemment bien au-delà des indicateurs normés (comparables à des standards) retenus dans les post-tests classiques.
L’évaluation de l’impact des campagnes sur les modifications de comportement au-delà de l’évaluation des processus de communication et de leur mise en œuvre constitue un domaine d’analyse complexe. Il est bien connu que les campagnes de communication ne sont qu’un élément du « dispositif » contribuant, sur la durée, à des modifications de comportement comportant des actions d’éducation, des incitations, des interdits … et qu’il serait un peu léger d’établir un lien direct entre le fait de visualiser un spot publicitaire à la télévision et celui de devenir un éco-citoyen.
Les campagnes de communication sur la sécurité routière sont par exemple d’autant plus efficaces que le nombre des radars est en augmentation et les véhicules plus sûrs ; celles sur les chauffe-eau solaires qu’il existe un crédit d’impôts conséquent, incitant à investir et celle sur les véhicules à basses émissions de CO2 qu’un bonus / malus a été mis en place.
À l’évidence il est nécessaire de compléter les post-tests d’impact publicitaire par des études approfondies et des suivis d’enquêtes (qui sont systématiquement réalisés à l’ADEME : ventes de chauffe-eau solaires, inserts bois, lampes basse consommation… et évolution des opinions et comportements) et qui permettent de mesurer l’efficacité globale des politiques mises en œuvre dont la communication n’est qu’un des éléments d’un dispositif plus large.
Pour autant, pour faire plaisir et rassurer nos financeurs publics on a pu procéder à des évaluations chiffrées d’impact de campagnes réalisées en termes d’économies d’énergie ou de tonnes de CO2 évitées. Celles-ci ont été élaborées sur la base d’hypothèses de comportement fondées sur des enquêtes quantitatives et des bilans d’action.
On peut citer par exemple la campagne de communication « Préservez votre argent, préservez votre planète » de 2001 portée par Fabrice Lucchini : les post tests ont mis en évidence que 30 % des ménages (soit 7,2 millions consommant chacun en moyenne 2 tonne équivalent pétrole) ont mémorisé de manière précise les messages de la campagne. Si l’on fait l’hypothèse (réaliste…) que 10 % d’entre eux ont modifié leur comportement correspondant à une réduction unitaire de 3 % de leurs consommations d’énergie (réduction de 1°C de la température de chauffage, conduite plus calme et plus lente…), les effets de la campagne peuvent être évalués à 90 000 tep, multipliés par deux si on intègre l’impact des actions presse et de leurs retombées. Sachant que la campagne média stricto sensu a coûté 3,5 millions d’euros, le coût à la tep économisée est d’environ 38 euros. Cette valeur est nettement inférieure aux coûts constatés dans le cas d’investissements d’économies d’énergie (changement de chaudières, chauffe-eau solaire…).
Certains trouveront cette approche « un peu » réductrice et ne manqueront pas de souligner l’aspect ponctuel de la sensibilisation. Et il va sans dire que pour contribuer à l’adoption de comportements non réversibles, l’action de communication doit s’inscrire dans la durée et dans une démarche plus larges associant tous les moyens de sensibilisation et d’information, déjà cités. Il convient de noter par ailleurs l’effet mobilisateur des campagnes de communication sur les prescripteurs et les professionnels et l’impact induit sur leur activité (et l’effet non négligeable du « vu à la télé ! »).
La suite de cet entretien particulièrement riche a été publiée en juillet 2014 : « Engagement environnemental : donner une dimension sociale aux pratiques privées »