RSE-RH : la quête de sens en entreprise

Élodie Chevallier, praticienne RH et consultante en gestion de carrière, vient de terminer une recherche portant sur la question des ruptures intentionnelles de carrière et de la quête de sens en entreprise. Elle observe qu’en matière de RSE de nombreuses entreprises se focalisent sur la réduction des risques psychosociaux et du stress, sur les enquêtes qualité de vie ou « bonheur » au travail. Pourtant, il serait selon elle plus intéressant de traiter la RSE sous l’angle plus large et plus riche du sens du travail (nature des missions, équilibre pro et perso, rémunération…) et du sens au travail (environnement de travail, relations avec les collègues et managers…). Mieux répondre à cette quête de sens devrait ainsi permettre aux entreprises de retenir leurs cadres et d’attirer les talents.

Élodie Chevallier, bienvenue sur le site Sircome. Vous êtes praticienne RH et consultante en gestion de carrière et vous venez de terminer une recherche portant sur la question du sens en entreprise. Pouvez-vous nous décrire votre formation et votre parcours ? Votre sujet favori ?

J’ai un parcours universitaire en RH, plutôt axé sciences humaines que gestion au sein de l’IAE de Lille puis à Paris V. Ma première expérience professionnelle s’est déroulée dans le conseil en bilan de compétences, durant 5 ans environ. Ensuite j’ai élargi mon champ d’action au domaine de la formation et du développement RH. J’ai eu différentes expériences dans différents secteurs : un centre de formation, un établissement public de recherche scientifique, un cabinet spécialisé dans la gestion de carrière des hauts potentiels.

Le fil conducteur de mon parcours est la gestion de carrière, on la retrouve dans différents aspects de la gestion des ressources humaines.

Mon sujet favori : le rapport au travail, c’est important étant donné le temps que l’on y passe !

Après quelques années d’expérience, et en parallèle de votre activité professionnelle, vous avez décidé de vous lancer dans la réalisation d’un doctorat. D’où vous vient cet intérêt pour la recherche ?

Au départ c’est davantage le sujet sur lequel j’ai travaillé qui m’a intéressé. Lorsque je faisais du conseil en bilan de compétences, j’ai accompagné un certain nombre de cadres qui avaient stoppé net une belle carrière parce qu’ils ne trouvaient plus de sens dans leur travail. Souvent, ils se réorientaient vers des métiers moins prestigieux socialement. J’ai été assez impressionnée par leurs choix professionnels et j’avais envie de mieux comprendre ce phénomène. D’autant que je me suis aperçue qu’il s’agissait d’un phénomène de société car lorsque j’ai débuté ma thèse, tous les magazines  avaient au moins un dossier par an sur ces gens « qui ont osé changer de vie ».

Ce qui m’intéressait c’était de comprendre, à un niveau individuel, pourquoi et comment en arrive-t-on à cette réflexion-là ? Et d’un point de vu organisationnel, quels sont les dysfonctionnements qui provoquent ce type de réactions ?

En décembre dernier, vous avez soutenu votre thèse de doctorat en Sciences de l’éducation sur la thématique du sens du et au travail chez les cadres. Quel était votre problématique ? Et quels sont les principaux résultats ?

Ma thèse porte sur le phénomène des ruptures intentionnelles de carrière chez des cadres souhaitant redonner du sens à leur vie professionnelle. L’objectif était dans un premier temps d’identifier les étapes de la rupture intentionnelle de carrière et dans un second temps de comprendre ce que signifie la notion de sens lorsqu’on exerce une activité professionnelle.

J’ai mis en évidence un modèle en 6 étapes du processus de rupture intentionnelle de carrière ainsi qu’une grille d’analyse des éléments qui donnent du sens à une situation de travail. Concrètement, ces deux outils ont une application pratique immédiate. Le modèle de processus de rupture intentionnelle de carrière permet de mieux comprendre et appréhender une situation professionnelle ressentie par un salarié et anticiper ou éviter une rupture de carrière si on prend en considération suffisamment tôt les signaux d’alerte. La grille des éléments qui apportent du sens à une situation de travail peut être utilisée par les entreprises qui souhaiteraient orienter leur politique de RSE vers cette thématique par exemple.

Ces deux outils visent à apporter aux professionnels des RH ou aux dirigeants d’entreprise des actions concrètes pour améliorer la qualité de vie au travail de leurs salariés. De nombreuses entreprises pensent que le bien-être au travail passe par du mobilier écologique, des cours de yoga ou encore l’organisation d’événements. Un salarié aura vraiment envie de s’investir dans son travail que lorsqu’il pourra en tirer du sens, et le sens passe avant tout par une culture d’entreprise où l’on se sente intégré, respecté et valorisé.

Comment ces résultats peuvent-ils être utiles au DRH ? Quels liens faites-vous entre vos thématiques de recherche et les stratégies RSE des entreprises ? 

En termes de RSE, de nombreuses entreprises se focalisent sur la réduction des risques psychosociaux et du stress, sur les enquêtes qualité de vie ou « bonheur » au travail (de type Best place to work). À mon avis, il serait plus intéressant de traiter la RSE sous l’angle plus large et plus riche du sens du et au travail. Le sens du travail traitant plutôt de la nature des missions, de l’équilibre professionnel et personnel, de la rémunération et des perspectives d’évolution. La question du sens au travail s’attache davantage à l’environnement de travail, aux relations avec les collègues et les managers. En s’attaquant à ces sujets de fond les entreprises mobiliseront davantage leurs salariés et éviteront la fuite croissante des cadres vers un « changement de vie ».

Dernière question : quels sont vos projets pour les mois et les années à venir ? Dit autrement, quelle serait l’activité qui vous permettrait de trouver du sens dans votre propre activité professionnelle ?

Ce qui permettrait de donner du sens à mon travail de thèse est bien évidement de mettre en pratique les outils que j’ai élaborés !  Je vais accompagner les entreprises qui souhaitent s’engager dans une démarche profonde et efficace de RSE. La question du sens étant vaste, il reste de nombreux champs à explorer (et de nouveaux outils à élaborer !), c’est pourquoi je garde un pied dans la recherche en restant rattachée à mon laboratoire (Pass-Réel de l’UCO Angers) et en présentant mes travaux lors de colloques scientifiques (à l’ACFAS à Montréal le 10 mai et au CNAM le 9 juin prochain).


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