Vers une gouvernance de l’eau au Québec

Cet ouvrage collectif présente un bilan sur la gestion de l’eau au Québec, et plus précisément de sa gouvernance, suite à la Politique Nationale de l’eau lancée en 2002. Tous les aspects de la gestion de l’eau dans une province canadienne sont abordés, sous l’angle de la géographie dans ses disciplines les plus pointues, du droit et des sciences de l’information et de la communication. Cet ouvrage s’adresse ainsi à tous les acteurs de l’eau, et peut-être encore plus à ceux qui ont besoin d’assurer la coordination entre ses multiples acteurs.

CHOQUETTE Catherine et LETOURNEAU Alain (dir.). Vers une gouvernance de l’eau au Québec. Québec : Multimondes, 2008. 364 p.

Une première partie de l’ouvrage est consacrée aux « savoirs préalables » sur le sujet et donne la parole d’abord à un géographe et à un chimiste en environnement ; le vocabulaire en usage ainsi que les compétences des experts sont ainsi expliqués. Le chercheur en sciences humaines y trouve ainsi une matière indispensable pour aborder ensuite le sujet selon sa propre discipline. Le rôle des experts scientifiques est de toutes façons présenté comme essentiel dans les prises de décision à venir, puisque eux seuls possèdent la capacité d’établir des mesures puis des comparaisons, des explications, des scénarios. Le spécialiste en communication doit ainsi pouvoir distinguer le potamologue de l’hydrogéochimiste. Puis l’économiste Marcel Boyer indique les modalités et les particularités des marchés de l’eau existant entre le Québec et d’autres Etats. Enfin, plusieurs juristes interviennent sur la question des degrés de compétence entre les municipalités, les bassins versants (qui regroupent souvent plusieurs municipalités), les provinces et l’Etat fédéral concernant la gestion de l’eau, sur la spécificité de l’eau en tant que « chose commune » (pas de distinction entre eau de surface et eau souterraine, comme le soutiennent les hydrologues québécois, et contrairement au cadre juridique français), sur les droit des peuples autochtones concernant cette ressource, sur la dimension internationale du sujet en replaçant l’eau dans le contexte de la mondialisation (voies de navigation par exemple), du droit de la personne, de la question de l’approvisionnement équitable, et finalement du droit international de l’eau. Ces réflexions menées par des juristes ont pour finalité de penser le meilleur cadre légal pour une protection de l’eau, la pollution apparaissant comme un problème majeur, ainsi que pour sa gestion en fonction des besoins exprimés. Ces différents chapitres écrits par des avocats ou des enseignants chercheurs en droit laissent entendre que le débat n’est pas clos, les objectifs des différents acteurs de l’eau n’étant pas identiques, le découpage en bassin versant reposant sur des données scientifiques qui ne recoupent pas toujours des réalités humaines.. Les bases de la notion de « gouvernance responsable » sont alors posées : gestion intégrée et concertée de la ressource hydrique, démocratie, responsabilisation de acteurs de l’eau, abandon du pouvoir exclusif de l’Etat.

La deuxième partie de l’ouvrage dresse un bilan sur les expériences d’application de la gouvernance de l’eau au Québec. Géographes, juristes, communicants et comptables, tous spécialistes des organisations, sont mobilisés pour mieux comprendre les jeux d’acteurs concernant la gestion de l’eau, autour de l’objectif de sensibilisation des usagers.
Un premier chapitre posant des repères historiques, le chapitre suivant aborde directement la questions sous l’angle des SIC. La gouvernance apparaît alors comme une notion polysémique, en lien avec les notions de forums du consensus ou de forums hybrides (M. Callon), la notion d’action collective aussi et très diverse selon les différents niveaux de territoire concernés. Le défi posé par Alain Letourneau concerne la « construction d’orientations partagées entre tous », c’est-à-dire entre les différents acteurs de l’eau, dans un contexte où l’Etat au plus haut niveau compte de plus en plus sur la responsabilisation accrue des acteurs locaux. Cela conduit l’auteur à redéfinir une sorte d’idéal de la communication reposant sur un « espace relationnel » où « l’information partagée » serait la règle, comprise comme un échange de sens sur l’action. La notion purement technique de « bassin versant » sur laquelle repose en grande partie désormais la gestion de l’eau au Québec doit donc être réinvestie selon lui, afin que les acteurs lui attribuent un sens, des représentations sociales, une symbolique, une relation d’appartenance, aux noms desquels ils pourront alors s’investir dans des actions. L’auteur précise alors la notion de consensus vers lequel ces pratiques de communication pourraient permettre de tendre : « faire tenir ensemble les intérêts singuliers et l’intérêt collectif ». Puis Suzanne Beaulieu interroge la légitimité organisationnelle des bassins versants face à ses parties prenantes en considérant 6 dimensions (légitimité identitaire, technique, morale, légale, perceptuelle et institutionnelle). Les 2 chapitres suivants sont plus prescriptifs et font des propositions pour permettre à la fois de mieux protéger la ressource en eau des pollutions actuelles et mieux répondre aux besoins contraires exprimés par les différents acteurs en présence.

Enfin, toute la troisième partie de l’ouvrage est consacrée à l’analyse des outils de gouvernance, à partir d’exemples très concrets. Catherine Choquette revient sur la notion de « contrat de bassin versant » et sur le rôle de « table de concertation » dévolu aux organismes de bassin versant. Jean Poitras et Martin LaRue présentent une étude sur les médiations qu’ils ont pu observer, situant la médiation comme un passage du conflit d’intérêt vers la collaboration réconciliant les intérêts particuliers. Ils s’attardent sur la spécificité des conflits environnementaux et sur la nécessité d’un processus de médiation particulièrement solide dans le cadre de ce type de conflit. Catherine Choquette et Darren Bardati tentent ensuite de construire un modèle d’évaluation du processus délibératif de la Politique Nationale de l’Eau à partir d’indicateurs sociaux (indicateurs légaux, politiques et civils). Dans le dernier chapitre, André Godin examine des pratiques d’actions citoyennes à travers l’étude d’actions associatives, dont la recherche-action, et l’éducation relative à l’environnement.
6 pages d’annexe permettent de retrouver les coordonnées de tous les organismes cités dans l’ouvrage avec indication de leur état d’avancement.

Pour un chercheur en communication qui s’intéresse à la question de l’eau, cet ouvrage a le mérite de dresser un panorama complet de la problématique posée, en même temps que des jalons importants concernant sa propre discipline (communication consensuelle, médiation, participation citoyenne). En conclusion, on peut dire que le chercheur en sciences humaines constate à travers cet ouvrage à quel point ses savoirs peuvent être complétés par un minimum de connaissances techniques, ne serait-ce que pour identifier de façon plus pertinente les acteurs et les problèmes sur lesquels il veut travailler.

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